Mensonges...

Citation :

Ezekiel

Ma gorge me brûle, la sueur qui coule de mon front me brouille la vue. Mes forces me quittent petit à petit, je tombe à genoux dans le sable brûlant… Je serre les poings, je dois continuer… Mes yeux se ferment, je n’ai plus la force de les ouvrir… Son visage…

« Blyss… »

Assis dans mon lit, je suis en nage… Trois fois déjà que je me réveille cette nuit. Toujours ce fichu cauchemar qui me hante inlassablement… Je me retrouve de nouveau dans ce désert, à deux pas de la forteresse où il la retenait. Ces gouzis, je les hais, je vais les tuer, jusqu’au dernier…

Je me lève et m’asperge le visage d’eau, sorte de purification, je dois me sortir cela de la tête. Je pousse lentement la porte et m’assoies sur son lit. Comme chaque nuit depuis son retour, j’ai besoin de me rassurer, de vérifier qu’elle va bien…

Je prends sa main, lentement, je ne veux pas la réveiller, elle a l’air si calme. Chaque nuit, c’est le même rituel, je vais la rejoindre et je ne peux plus détacher mes yeux de son visage. Hier, je me suis endormi, j’ai fui dans la grande salle alors qu’elle se réveillait. Je ne voulais pas qu’elle me voit, qu’elle lise la peur dans mes yeux…

J’ai eu si peur de la perdre, peur que l’histoire se répète. Peur de la voir mourir sous mes yeux, comme j’ai vu mourir ma mère, comme j’ai vu Savage pousser son dernier souffle. Sans elle je ne suis rien… Je l’ai pourtant laissée partir dans cette auberge, j’aurais du me douter qu’elle prenait des risques… Pourtant je n’ai rien fait pour l’en empêcher, rien dit non plus… Quel idiot je suis. S’il l’avait tué, je lui aurais fait payer grassement… Mais cela ne me l’aurait pas ramenée pour autant. Je me demande souvent si je ne l’a mets pas en danger, si ce n’est pas moi qui attire irrémédiablement la mort sur les gens auxquels je tiens. Mais c’est plus fort que moi, je ne peux me résigner à la quitter, à rompre cette union qui fait ce que je suis devenu. Alors je m’obstine, essaie de rompre ce sort qui s’acharne.

Je fais ce que je peux pour être présent à ses côtés à chaque instant. Pourquoi aurais-je donné ma vie pour elle ? Pour ne pas qu’elle paie pour moi, pour qu’elle puisse vivre, tout simplement. Là j’ai échoué, une fois encore… Elle est vivante c’est vrai, la mort l’a épargnée cette fois, m’a épargné aussi. Mais pour combien de temps…

Il l’a utilisée, juste pour m’attirer à lui… Rien que pour cela je le tuerai, pour s’être servi d’elle. Mais je ne le ferait pas souffrir, pas trop du moins… Il aurait pu la livrer en pâture aux autres Gouzis, ce clan de rebus. Je n’ose pas imaginer ce qu’ils auraient pu lui faire subir. Cette simple pensée m’écœure…

Je chasse ses pensées malsaines de mon cerveau torturé et cherche le réconfort en caressant cette main glissée entre mes doigts… Je repense à la nuit ou elle est venue me rejoindre. Elle m’a réveillé en se blottissant contre moi mais je n’ai pas ouvert les yeux, de peur de rêver, ma main s’est posée sur son ventre, recherchant la chaleur de son corps. Cette sensation, jamais je ne l’oublierai…

Il est là de nouveau, près de moi. Ses caresses sur ma main m’ont tirée de mon sommeil. J’ai failli le brûler, j’ai ressenti ce picotement habituel dès lors que l’on me touche. Ce réflexe qui ne m’a jamais quittée j’ai failli le déclencher sur lui.
Mes doigts se resserrent sur sa main, comme un reproche, comme une main amicale qui viendrait vous dire « tout va bien arrête de t’en faire ». Je sais qu’il vient me voir tous les soirs, s’assurer que je suis là. Depuis le funeste jour où son passé a refait surface, il a pris conscience de ce que je représentais pour lui. Moi aussi mais je ne voulais pas de ce fardeau. Est-ce que maintenant tout a changé pour de bon ? Avons-nous pris un chemin irréversible ? Maintenant avec cet enlèvement, je le sens plus angoissé que jamais. Le vieillard avait sûrement raison. Cela m’agace. L’un sans l’autre nous ne sommes au final plus rien… Je connais ce sentiment qui l’étreint et le tue à petit feu. Qu’en serait-il si nos chemins ne s’étaient pas croisés ? Je me sens bien plus faible depuis et ça je ne peux le supporter. Je suis devenue un fardeau pour lui, ma faiblesse est son talon d’Achille. Mais sa culpabilité vis-à-vis de moi m’irrite plus que tout. Elle me renvoie en pleine figure ce que je ne peux lui assurer. Seulement je ne peux lui montrer. J’ai toujours su que sa vulnérabilité viendrait d’une femme, je n’avais jamais pensé qu’il s’agirait de moi. Si l’on se séparait tout serait tellement plus simple. J’ouvre mes yeux et les plonge dans les siens. « Alors tu doutes ? » Et mon regard se fait plus dur.

Citation :

Ezekiel

Ses doigts se serrent, elle se réveille… Je voudrais me lever mais je ne peux plus, elle me dévisage, un semblant de colère au fond du regard…

« Je doute… Bien sur que je doute… de moi tout du moins. »

Ma gorge se serre, je voudrais lui dire mais je ne trouve pas les mots.

« Je ne sais comment t’expliquer cela sans te faire peur… Mes doutes viennent de mon passé. Depuis toujours, la mort fait partie de ma vie, j’ai vu s’éteindre devant moi les êtres qui m’étaient chers sans jamais parvenir à les sauver. - J’étouffe un sanglot dans la gorge en pestant intérieurement sur ma faiblesse – J’ai souvent pensé à ce que je pouvais faire pour te pas t’attirer trop d’ennuis… Arrêter de m’en prendre aux autres… je ne peux pas, je ne peux plus, j’ai besoin de cette adrénaline qui se déverse en moi lorsque j’inflige la mort, je hais les autres, ils me dégoûtent tous. Leur hypocrisie, leur manipulation, je ne les supporte plus. J’ai pensé fuir, loin de toi… mais je ne peux m’y résoudre… Mon existence prend un sens à tes côtés, tu m’as donné la force de vivre, de me battre contre mes peurs… »

Ma mâchoire se crispe, les mots ne sortent plus… Je me lève et reviens quelques secondes plus tard. Je lui tends un carnet, fuyant son regard interrogateur…

« Tu comprendras peut-être… »

Sans un mot de plus, je quitte la pièce.

Je remue le carnet en tout sens. Je feuillette les pages comme si j’égrenais un rosaire. Les odeurs de vieux papier viennent emplir mes narines. Je soupire et me décide après quelques minutes à le parcourir. Les pas d’Ezekiel dans la pièce annexe, ces pas nerveux, commencent peu à peu à s’estomper et je plonge dans cet univers où il veut me faire pénétrer, pour de bon.

J’ai rencontré cette femme qui semblait être elfe. J’ai fait quelques pas en sa direction, elle m’attendait avec un sourire puis s’est approchée de moi et m’a chuchoté en elfe ancien les mots qui renferment toute sa vie et qui conditionnèrent celle de mon partenaire.

Fragile, gracile, sa silhouette évanescente n’inspire que confiance. Naïve et sensible elle se livre en ces pages avec innocence. L’avenir lui sourit elle a tout pour elle.
Les pages défilent une à une, je la connais dans toute son intimité. Sa vie m’envahit, sa vie pleine de bonnes intentions, d’amour et de don de soi.

Je referme le livret dans un bruit sec, je lui claque la porte au nez, au diable ces niaiseries de fillette. Lire tout cela m’agace, je voudrais le jeter au loin. Je respire un grand coup, je me raisonne, je ne pense pas que ce soit le passé rose bonbon de sa mère qui l’ait rendu ainsi même si ce genre d’expérience aurait de quoi traumatiser une personne comme moi. Je le rouvre et me replonge dans cette écriture cristalline et doucereuse, et je continue mon chemin guidée par les mots de cette elfe aimante et aimée.

Elle a grandi, son apprentissage est terminé. On la louange de plus en plus sur toutes ses qualités, qualités qu’elle ignore délicieusement, sans malice ni fausse modestie. L’on prépare un rituel, elle est promise à une personne renommée de son village, un demi humain au récent passé glorieux. Il est éperdument amoureux d’elle mais elle, elle ne sait vraiment ce qu’est l’amour, alors oui elle l’aime en retour puisqu’elle ne le déteste pas, puisqu’elle se sent bien avec lui, puisqu’il a promis de la protéger, puisqu’il se donne à elle. Là commencent les mensonges, les plus insidieux qui soit… ceux que l’on se fait à soi-même.

Puis le tournant au détour de quelques phrases anodines. C’est enfin à ce moment qu’elle sombre, la pureté mise à l’épreuve, l’échec de la grâce, l’abandon de la majesté, l’abdication de soi. Elle voudrait que tous les mots qui suivent brûlent à jamais, emportant tous ces souvenirs, ces non-dits avec leurs cendres. Mais elle les laisse là en pâture à la seule personne qui finira par la juger et qui saura décider si elle mérite son pardon.

Des souvenirs… des choses que l’on cache ou transforme, finalement tous les souvenirs s’avèrent bien malléables…

L’origine de ce pendentif, un héritage de ses ancêtres pensait-elle. C’est bien ce que la mémoire collective avait bien voulu retenir, au fil du temps la vérité s’était altérée. Et c’est un démon qui est venu clamer son ascendance sur ce bijou. Il l’a approchée lentement, sûrement. Après un premier instant de recul, elle est venue vers lui et ils se sont rencontrés.

Ils se revoient régulièrement, toujours au bord de ce lac aux eaux scintillantes. Ils échangent des paroles, des points de vue, peu à peu ils se lient d’une amitié pleine de faux semblants. Le sait-elle à ce moment-là, comment peut-elle être si naïve et se perdre à ce point ? Je grimace.

Puis arrive un jour où il ne se présente pas, le lendemain non plus, ni le surlendemain ni même les jours d’après. Quelques années s’écoulent dans la torpeur de ce quotidien toujours identique à la veille. Elle écrit de manière moins assidue, elle semble disparaître dans sa vie, derrière ce voile qu’elle arbore devant ses yeux. Elle est mariée à ce héros qui peu à peu ressemblera de moins en moins à cette image glorieuse mais que l’on pardonne pour ses hauts faits. Elle lui échappe, il le sent, il en est désormais conscient, il le sait. Pour lui il n’y a plus que le voile de l’incompréhension qui subsiste.

Chaque journée elle se rend à ce lac bercée par la désillusion et l’espoir tour à tour.

Et un beau jour il apparaît de nouveau. Il est affaibli, il chancelle, dans ses bras un enfant. Le temps des retrouvailles et des explications n’aura pas lieu. Il s’effondre à terre en lui tendant ce dernier présent qui gesticule, un dernier sourire et ces dernières paroles. « Préserve le, il vient de là… ». Le médaillon scintille légèrement puis s’éteint.

Le sang s’écoule de son front percé d’une flèche. Son mari est là, il voulait la récupérer, depuis combien de temps la suivait-il ? Il la traîne de force, furieux de s’être laissé ainsi berner. Mais elle jamais elle ne lâchera celui qui se nommera Ezekiel.

La suite je la connais. Le demi humain a commencé à détester tout de ce démon, y compris l’enfant. L’enfant qui se terre dans le noir pour y verser ses larmes, pour ne pas entendre. L’enfant qui d’un rien s’amuse, qui d’un rien voit rouge, qui n’est jamais tout à fait comme les autres. Il est un monstre aux yeux de son père adoptif, il est un ange aux yeux de sa mère. Cette mère qui subit les assauts de son mari, inlassablement, qui s’interdit le moindre cri de douleur ou désespoir, et étouffe tout ça en elle, pour ne pas alerter son fils. Cette mère qui mourra quelques années plus tard en priant pour que son fils lui pardonne un jour d’avoir été si faible.

Elle est partie en le laissant dans le noir le plus total.