Cacophonie

Sans toi il n’est rien, tu dois le protéger… Foutaises !

Je déambulais sur le chemin, les poings serrés dans les poches de ma petite cape. Mais je savais bien à quel point je comptais pour lui. Je savais bien que son approche de la vie avait changé, au moment où nous nous sommes rencontrés il était finalement en attente d’une personne pour combler le manque qu’il avait toujours eu. Notre route était désormais commune et le pire danger n’était pas les autres, mais bel et bien nous. Quel dérapage…
Au milieu de la forêt, les routes sont devenues plus qu’aveugles et au lieu de prendre la droite ligne nous nous sommes perdus… Quelque part je me demandais si cet appel impromptu ne m’arrangeait pas, moi qui fuyais toute sorte d’attachement.

Trêve de cheminements erratiques fillette, une chose est sûre, il doit connaître ma résolution.

J’arrivais enfin en vue de cette sombre bâtisse baignée de rayons crépusculaires. Elle en était encore plus imposante, dardée de ces rais de lumière orangés les ombres qui en surgissaient n’étaient que plus menaçantes. J’étais harassée, mon corps n’était que douleur, chacun de mes membres me hurlait de tout stopper là, de m’asseoir pour fuir loin par la suite, loin de toutes ces errances, là où on ne pourrait me trouver, et de les laisser enfin se reposer. J’étais pourtant résolue à les ignorer et à faire face. Je m’avançai prudemment, je ne devais pas être vue ici. Fort heureusement je ne croisai âme qui vive et put m’aventurer à l’intérieur, me dirigeant droit dans la gueule béante de cet antre qui m’invitait orgueilleusement à les rejoindre.

Dans le dédale des couloirs je sus immédiatement mon chemin, je savais où le retrouver. La marque sur mon ventre ne me brûlait plus, m’offrant ainsi un court répit. Cela oscillait entre tour à tour une chaleur diffuse venue soulager le reste de mon corps endolori et une sorte de chatouillement intérieur. L’instant approchait à grandes enjambées. Je baladai ma main sur les murs de pierre à mesure que je progressais. Je devais garder un semblant de contact avec la réalité, ne plus penser à rien d’autre que l’objet de ma venue. Ce serment, Aydan. Qu’était-il arrivé ? Peu importe pour le moment pensai-je.

Je passai devant le mess où tous les officiers semblaient réunis et aventurai mon regard. La plupart ne m’étaient pas inconnus. L’ambiance était particulièrement animée, chacun faisait part de ses exploits, fier, droit, tout ça pour la cause de l’empire, tout ça en faisant bombance allègrement. Combien crevaient la faim pendant ce temps ? Quelle question singulière tout d’un coup, je devais être vraiment fatiguée… Je m’attardai soudain sur l’un d’entre eux.
Toi ?!…intéressant...
Puis je pris du recul, les dévisageant rapidement les uns après les autres. Une sensation que je ne saurais qualifier s’empara de moi. Semblable à un doute profond. Je fis quelques pas en arrière et ne m’attardai pas plus sur les lieux.

Je me dressai enfin devant lui. Cela faisait une éternité depuis notre première rencontre. Nous nous étions bien revus depuis mais les circonstances étaient différentes.

-Alors le jour est donc venu où je vais devoir devenir un chien à la solde de l’Empire, constatai-je en posant la main sur mon ventre, sur cette marque indélébile symbole de mon passé éhonté.

Je le fixai du regard, la mâchoire contractée, rendant mes paroles plus sifflantes que d’habitude. J’avais décidé de masquer tous mes sentiments et de n’afficher que dédain malgré mon respect.
Je distinguai mal les traits de son visage mais je voyais bien que son attitude restait toujours égale quelle que soit la circonstance, flegmatique et décontractée.

-Je me dois pourtant de refuser. Ma condition de chien errant me sied parfaitement pour le moment. Je viens de croiser la horde de l’Empire, je ne suis pas prête. Je ne renie pas mon serment pour autant, j’agirai pour nos intérêts communs et ça tu le sais. Mais pour le moment j’ai d’autres chats à fouetter. Laisse moi le temps.

Je me tus sur cette pointe de défi. Je jouais gros mais étais bien déterminée à ne m’enfermer qu’occasionnellement sous des directives autres. J’inclinai la tête en signe de prise de congé, tournai les talons puis me dirigeai lentement vers la sortie. Sa décision ne tarderait pas. Allait-il me châtier et me mettre à mort pour ces paroles ou allait-il garder confiance et me laisser partir ?

Contre toute attente je me retrouvais à l’extérieur. Rien, il ne m’avait rien dit. Je sentais la présence de ses deux lieutenants, sa femme et son ami de toujours. Eux non plus n’avaient pas prononcé un mot. Je ne cessais de penser aux raisons de ce mutisme. Seul son froncement de sourcil puis son sourire glaçant laissaient transparaître une éventuelle décision. Epuisée je me dirigeai vers la forêt de Barla, je me décidai à passer la nuit à la belle étoile et me choisit un arbre au dense feuillage pour m’accueillir.


Je m’éveillai quelques heures avant que l’aurore ne vienne embrasser cette forêt de son manteau bleuté. Je descendis de mon hôte et m’étirai longuement quand j’aperçus celui qui sans le vouloir allait participer à faire tourner la roue de mon destin d’un cran.

- Alors cher prêtre je vois que tu as finalement trouvé ta voie.

J’arborai mon habituel petit sourire aux lèvres. Je ne lui demandai pas les raisons de son changement, il m’aurait sorti certainement des choses inintelligibles sur les signes et j’aurais été agacée. J’avais appris à le connaître depuis le temps et puis je savais intimement ce que ce clan pouvait apporter. Nous nous mîmes à discuter de tout et rien, balayant totalement tous ces événements précipités depuis l’arrivée de l’Annonciateur, nous étions dans une sorte de bulle, je ne voulais inonder mon esprit d’aucune interférence nouvelle. Pour une fois j’étais encline à converser. Il me raconta alors qu’il avait croisé Ezekiel au détour de la grotte où se logeaient les rôdeurs et les voleurs de ce monde. Ainsi donc il est parti chasser, bon ça me rassure sur ce médaillon. Il me glissa aussi dans la conversation quelques remarques sur les mœurs de mon partenaire auxquelles je n’objectai aucune surprise, je me contentai de rester sereine, il ne m’apprenait rien.
Pourtant je mis volontiers ces informations dans un coin de mon esprit, au chaud.
Quand l’aube se décida à faire timidement place aux lueurs éclatantes du jour, je pris congé pour retourner chez moi.

Enfin j’étais de retour, l’impression que le temps s’était échappé m’envahit soudain. En réalité tout m’échappait, je ne savais plus quel jour nous étions, quand avaient eu lieu les événements de la veille. En tout cas je constatai amèrement qu’Ezekiel n’était pas encore rentré. Merde, il en met du temps, j’espère qu’il n’a pas utilisé le médaillon, qui sait où ça l’a parachuté… A cet instant de mes pensées, la porte s’ouvrit violemment, je me mis sur mes gardes mais dans la douce lumière de l’aube se dessinait cette silhouette reconnaissable entre mille. Il s’approcha de moi, l’air quelque peu hagard, les mains couvertes de sang à l’image de ses vêtements. Je restai là, le regard interrogateur.

Citation :

Ezekiel

J'arrivai enfin au repaire. Pourvu qu'elle soit revenue... Je poussai la porte violemment, à bout de nerfs. La moue qu’elle afficha au premier abord me laissa penser que le bruit l’avait surprise. Il est vrai que j’étais peu présentable, encore couvert du sang des gouzis sur qui j’avais laissé explosé ma rage, l’esprit encore agité par ce que j’avais vu sur le neuvième monde. Ces ombres me hantaient encore. Sans ce pendentif de malheur, je serais sans doute mort, ou peut-être une ombre moi même… Je devais lui dire, elle devait savoir ce qui nous attendait…Je regrettais déjà de l’avoir entraînée dans cette aventure, en volant le pendentif, j’avais scellé nos deux sorts…

Ce monde, le Twärvalyen… le plus hostile des douze mondes d’après le treizième… Espérons que les autres seraient plus accueillants… Un frisson me parcourut le dos, je revoyais ces visages torturés, ces êtres qui m’entouraient lorsque j’étais encore là-bas… Et puis cette voix, cette histoire que le médaillon m’avait contée, les mots résonnaient encore dans ma tête.

"Gendrazeth, grande créatrice des Limbes est la mère des trois Seigneurs de l’Ombre Elle est la première entité né du Nihïlyen. Expansionniste, elle a ordonné à ses fils de rassembler ses semblables dans chacun des autres mondes afin d’anéantir les différences, et d’asseoir sa suprématie sur un Treizième monde d’Ombres et de Douleurs. "

Le vieillard n’avait pas menti, les ombres étaient donc sur Sarwyen, le septième monde comme il l’avait appelé. Qui ils étaient, je n’en savais encore rien… Ce qu’ils voulaient, je le savais maintenant et ce n’était pas pour me rassurer… Sarwyen n’était pas ce que l’on pouvait appeler une terre d’accueil, mais comparé au Twärvalyen, c’était un véritable havre de paix… Même les barbares les plus féroces de ce monde ne tiendraient pas plus d’une minute face à ces êtres de brumes…

"Il est temps Ezekiel. Il est temps que tu cries ta colère. Il est temps que tu défies ceux qui te retiennent encore sur le septième Monde..."

Avant de me sortir du bourbier où il m’avait expédié, le treizième m’avait lâché cette phrase sans plus d’explication. Je devais maintenant les défier, mais défier qui ! Qui étaient ceux qui me retenaient sur le Sarwyen, pourquoi m’y retenaient-ils d’ailleurs… Ces questions ne me quittaient plus et je ne parvenais pas à trouver la moindre réponse. Il m’avait livré une nouvelle pièce du puzzle mais rien ne collait. Je ne m’étais jamais senti prisonnier sur ce monde, le seul qui existait pour moi quelques jours auparavant. Trop d’informations à digérer, je n’arrivais même plus à réfléchir correctement…

Je m’approchai lentement de Blyss et pris sa main. Cette chaleur, ce simple contact me ressourça, me remplit d’énergie. Il fallait maintenant qu’elle sache… Je pris une inspiration et lui racontai…

[…]

Je me réveillai en sursaut. Je contemplai mes mains, les portai à mon visage et relevai les mèches de mon front. Il était brûlant. Une montée d’angoisse vint saisir tout mon corps et si… Mon regard se promena rapidement dans toute la pièce. Non tout était normal, ce que m’avait conté Ezekiel et les divers événements tous plus fous les uns que les autres de la journée qui suivit ou alors c’est nous qui devenons fous… étaient juste venu me hanter dans mes rêves. Je parvins à me calmer en prenant de profondes inspirations puis me mis à écouter le silence saisissant qui régnait. Je me sentis soudain profondément seule, perdue dans l’immensité de ma petite chambre et des frissons vinrent caresser ma peau lentement telle une ondée matinale jusqu’à me glacer jusqu’aux os. Instinctivement ma main se porta sur ce pendentif qui ornait mon cou depuis cette funeste journée. D’un geste vif j’envoyai valser mes couvertures et posai les pieds au sol. Il était gelé. Pourquoi il fait aussi froid ici ? Je m’emmitouflai dans un drap et sortis de ma chambre. J’avançai lentement dans les couloirs, marquant de petites pauses au moindre grincement de plancher, ouvrant grand les yeux afin de garder tout sous mon contrôle. Quelques instants plus tard je me retrouvai devant son lit.

Il était profondément endormi. Ma présence ne le sortit pas de son sommeil agité. Lui aussi passait encore un sale moment, même dans nos songes nous ne parvenions plus à trouver un semblant de paix. Je fixai ses traits si doux et les vis se déformer peu à peu. Une expression de dégoût s’inscrivit sur son visage. Des mouvements brusques vinrent l’animer, suivis très vite de légers spasmes. Je restai ainsi pendant un moment à l’observer comme s’il s’agissait d’un animal curieux dont on sent qu’il a besoin d’aide mais que l’on ne comprend pas. Ce n’était pas lui que je ne saisissais pas, mais plutôt tout ce qui nous entourait. Ce médaillon, le Treizième, était-il possédé ? Comment tant de pouvoirs étaient-ils concentrés en lui ? Pourquoi devoir visiter ces mondes ? Et ce néant qui m’attirait… je voulais tellement le revoir. Et puis qu’attendait-on du Passeur ? Il se mit à gémir légèrement. Je laissai alors mon drap glisser au sol et m’introduisis dans son lit, grelottante. Je pris son bras et le plaçai autour de moi, remettant inconsciemment en scène les moments agréables de mon enfance. Mon corps se lova dans le sien, il se laissa entraîner sans résistance. Et le calme sembla s’emparer peu à peu de lui puis de moi par contagion. Sa respiration se fit moins frénétique. Je sentais son souffle léger dans ma nuque. J’entendais son cœur battre, il scindait le temps qui s’égrenait paisiblement en de petites portions puis je fermai les yeux serrant dans une main le médaillon de sa mère, et dans l’autre sa main venue se poser sur mon ventre.