La révélation...

Citation :

Ezekiel

Le repaire, enfin… Je me retournai vers le vieillard, il s’était endormi mais son sommeil était plus qu’agité. Des visions sans doute, son visage se tordait parfois comme s’il subissait une torture psychique des plus violentes… Je puisai dans mes dernières ressources pour le porter à l’intérieur et le déposer sur mon lit. Il ne se réveillât pas et je décidai de le laisser reprendre des forces, notre discussion à venir allait sans doute être des plus épuisantes…Je refermai la porte doucement. Nous étions en sécurité dans notre repaire, du moins je l’espérais.

Arrivé dans salle, je plongeai mes mains dans une bassine d’eau glacée et m’aspergeai le visage, histoire d’être un peu plus présentable pour réveiller Blyss et de me remettre les idées en place. Depuis quelques heures, tout allait trop vite, ce vieillard que je venais d’aider sans être certain de ses intentions, ces créatures démoniaques qui venaient d’assiéger la place pour je ne sais quelle raison….

Il fallait que j’en parle à Blyss, elle ne me prendrait pas pour un fou et m’écouterait, du moins je l’espérais… Je me décidai à pousser la porte de sa chambre pour la réveiller…

« Blyss nom d’un troll ! »

Je retournai toute sa chambre à la recherche d’un indice mais rien… J’attrapai mon arc laissé sur la table en sortis en courant de la cabane. A peine passé la porte, j’aperçus une silhouette familière sur le chemin, la démarche mal assurée. J’hésitai entre hurler pour la peur qu’elle m’avait infligée et la serrer dans mes bras.

L’effort accompli était encore prématuré pour sa condition. Elle éprouvait de plus en plus de mal à progresser malgré l’aide de son bâton. Leur demeure était maintenant à portée de vue, il était temps pensa-t-elle éreintée. Elle ne fut pas même surprise en apercevant sur le bas côté cette charrette qui aurait dû lui servir à rentrer aisément, elle se contenta simplement de froncer les sourcils. C’est alors qu’elle vit Ezekiel se précipiter hors de leur repaire et venir prestement à sa rencontre. Il avait les traits tirés et son visage exprimait un mélange de soulagement et de réprobation. Elle inspira profondément et tenta de se replonger pleinement dans cette réalité.
Sa main vint s’élever à la hauteur du visage de l’elfe lorsqu’il s’approcha d’elle, stoppant ainsi tout élan ou toute objection de sa part, elle ignorait ses réactions à venir, il n’avait pas l’air lui-même très résolu quant à l’attitude à adopter mais elle ne préférait pas en savoir plus pour le moment.

« Pas maintenant s’il te plaît, rentrons d’abord » lui murmura-t-elle. Elle passa alors son bras sous celui d’Ezekiel s’agrippant désormais à lui pour rentrer.

Elle ne savait par où commencer et cherchait un moment de répit pour tout remettre en ordre. Les événements s’étaient par trop précipités ces derniers temps.

Citation :

Annonciateur

L’Annonciateur avait fini par s’endormir épuisé. Le chaos de la charrette le berçait. Le foin était douillé. Combien de temps cela faisait-il qu’il n’avait pas dormit dans un lit aussi chaleureux ?

Voile de brume. Le vortex est infini. Les contours s’estompent et c’est la chute. Le poids devient temps, l’espace s’allonge et glisse sur un océan de nuages noirs. La lumière vive et fugace dévoile l’horreur d’un avenir présent. Les pierres qui tombe dans la marre en pleine nuit ondulent à la surface du cauchemar. Puis le rideau se baisse laissant place aux ténèbres immuables et léthargiques.

L’Annonciateur fut réveillé par le froid. Grelottant il entreprit de remonter la couverture sous son nez et se retourna pour soulager son dos. La fièvre qui s’était insinuée en lui persistait, mais il ne s’agissait pas d’une maladie. Son front ridé et plissé représentait l’âge vénérable d’un homme au destin presque achevé. L’Elfe l’avait écouté, il était la nouvelle source de vie qui prolongerait sa parole, sa mission touchait à sa fin en ce monde.

Quelques minutes défilèrent dans le silence sans que le vieillard ne se soucis de l’endroit ou il était. Il ouvrit ses yeux blancs et perçut le son des pas de deux Elfes discrets. Les heures qui précédèrent lui revinrent tout à coup. Son estomac se noua et son visage se tordit sous la douleur et le poids d’un secret qu’il ne pouvait plus garder.

A tâtons, il chercha son bâton au pied du lit. Sa main vieillie l’agrippa et se serra sur lui.

« Mon vieil ami, porte moi une dernière fois… »

Le menton volontaire, l’Annonciateur se leva péniblement. Fatigué et voûté il se dirigea vers la source de paroles à petits pas.

« Mon enfant, ou es tu ? Et qui est cette femme qui t’accompagne ? »

Sa main se porta sur sa poitrine et se serra sur un pendentif qu'il, semble t-il, devait vouloir protéger.

Ils approchèrent de l’entrée, Ezekiel tendit la main vers la porte.

- Tu rêves Blyss, et je m'insinue dans ton esprit au milieu d'un voile de Brouillard

Cette voix…

Elle tourna vivement la tête vers Ezekiel et l’interrogea du regard. non Il ne l’avait pas entendue. Seule elle l’entendait susurrer en elle, la narguer.
Une ombre fugitive se faufila le long de la porte pour se perdre dans son propre abîme.
Elle vacilla, ses jambes lui échappaient de nouveau et ses muscles se raidirent. Un frisson vint lentement lui parcourir l’échine, la consumant peu à peu dans une atmosphère glacée. Ses doigts s’enfoncèrent dans la chair d’Ezekiel et autour d’elle tout perdit de sa consistance pour plonger également dans le gouffre.

Non pas encore…

- toi…murmura-t-elle.

Elle s’efforça de garder les yeux ouverts encore et encore, elle voulait regarder ces ténèbres, les regarder en face. Elle ne luttait plus contre cette emprise, elle ne pouvait plus, il était trop tard. Son regard restait désespérément immergé dans cette nuit d’encre sans plus de repères.
Elle serra les dents, impuissante, elle se maudit de ne pouvoir contrôler ce qui arrivait, de devoir rester passive dans ce monde irréel qui s’immisçait en elle librement, contre son gré, un monde aux allures de permanence.

Puis comme un simple claquement de doigt, chaque élément reprit sa forme trait par trait.

Non ! Sa main quitta le bras d’Ezekiel en direction de cette ombre qui lui échappait.

Elle souffla, tout était passé, sauf la colère qui avait pris place en elle…

Citation :

Ezekiel

Elle serrait mon bras de plus en plus fort, je sentis ses ongles déchirer ma peau et pénétrer dans ma chair. Ses jambes vacillèrent soudain. Je passai mon bras libre autour de ses épaules, la laissant torturer mon bras. Les entailles se faisaient plus profondes, les gouttes de sang s’écoulaient lentement jusqu’à mes doigts pour finir par exploser au sol. Tout en la soutenant, je gardais mon regard plongé dans ses yeux. L’espace d’un instant, elle sembla ailleurs… Son visage se déformait, l’épuisement laissait place à la colère.

Lorsque nous avons passé le seuil de la porte, ses yeux se mirent à briller d’une lueur étrange, la haine perlait par tous les pores de sa peau. Elle lâcha mon bras et se rua sur le vieillard, l’attrapant par le col. Elle se mit à le secouer... La rage au ventre, elle puisait dans ses réserves pour ne pas s’effondrer au sol, trop fière pour montrer sa faiblesse. Le pendentif que le vieillard serrait dans sa main se mit à rayonner d’une étrange lueur qui s’intensifiait au fur et à mesure que les secondes s’égrainaient. Le vieil homme restait impassible, se laissant ballotter au bon vouloir de Blyss, semblant s’en remettre à son artefact.

« Lâche-le Blyss, il ne te voit même pas… » lui hurlai-je.

Elle relâcha enfin son emprise pour se retourner vers moi. Le choc fut cinglant, elle venait de m’administrer une violente gifle. Incrédule, je serrais les poings.

« Tu ne comprends donc pas que cet homme est un fléau à lui seul ? Depuis qu’il est arrivé sur ces terres, je perds le contrôle de mon âme, ma vision se brouille, j’entends des voix… Et toi, tu le ramène schez nous, dans notre repaire ! Tu as perdu la tête ? C’était pourtant clair, personne ne doit connaître l’existence de ce lieu… Tu m’as trahie ! »

Ces derniers mots résonnèrent dans mon crâne.

Te trahir… moi qui donnerais ma vie pour toi….

Choqué par la violence de ses paroles, je pris sur moi pour ne pas lui balancer à la tête tout ce que je cachais au plus profond de mon être, tout ce que je n’avais osé lui dire… Le temps pressait et je devais parler à l’annonciateur, Blyss avait visiblement besoin de l’écouter aussi… Lui seul pouvait nous expliquer ce qui nous arrivait depuis quelques jours, l’état de Blyss, mes rêves… Je devais la faire réagir et vite. L’annonciateur était très faible et notre fuite n’avait pas aidé à lui redonner des forces.

« Il est aveugle Blyss, comment veux-tu qu’il parle, qu’on nous retrouve ? Il ne sait même pas où nous sommes… Tu n’es pas la seule pour qui la vie a changé… Je ne dors plus, je fais des rêves démens, j’ai des visions de chaos, de mort, une sorte de cavalier de l’enfer, de démon sans visage me transperce de part en part, me laisse vide de toute vie. Quand je me réveille, je n’ai qu’un nom en tête, Kargamoth… »

Au fur et à mesure des explications, Blyss semblait s’apaiser. Quant à moi, la sueur ruisselait sur mon visage, se mêlait à mon sang qui continuait à s’échapper de mes veines…

« Il peut nous aider… je le sais, je le sens... Laisse-lui au moins une chance… »

Citation :

Annonciateur

L'Annonciateur se laissait secouer en fronçant les sourcils. La seule chose qui comptait pour lui à ce moment précis était le pendentif qu'il tenait dans le creux de sa main. Il le serrait tellement fort que sa peau en fut transpercée.

Blyss le lâcha et les Elfes se parlèrent. Malgré son vieil âge l'Annonciateur n'avait jamais apprit à parler leur langue et ne compris pas le sens de leur mots, pourtant si beau. Le vieillard comprit seulement à leurs intonations qu'ils étaient en désaccord. Il resta ainsi les yeux fermé et le front plissé le temps que leurs explication prennent fin. Ses épaules étaient serrées et son dos voûté, comme un enfant à qui l'on venait d'administrer une correction. Ses pensées s'envolaient au dessus des voiles noirs, il devait combattre ses démons une dernière fois et parler.

Le silence des deux Elfes le ramena à ses esprits. Il sentait leur regards tourné vers lui et chercha une chaise ou s'asseoir avec son bâton. Le bois mat et lourd d'un banc de chêne massif résonna dans son bras et dans sa tête.

La femme qui parlait l'Elfe ne lui semblait pas mauvaise. Du mois c'est ce qu'il en avait déduis, car elle semblait être suffisamment proche de...son enfant et unique allié dans cette guerre qu'il était en train de livrer. Il connaissait le désespoir et la détresse qu'il avait entendue dans la voix de Blyss pour les avoirs subit tout deux d'un même front toute sa vie. Il en était ainsi de la vie d'un héro.

« Asseyez vous mes enfants »

Le vieillard chercha Ezekiel du bras et s'aida de sa manche pour s'installer. Il écouta les craquements du bois pour définir les positions de ses interlocuteurs et commença son récit à voix basse :

« Il y a bien longtemps, en un temps ou il faisait bon de vivre en Särwyen, je me trouvais au service d’un roi bon au cœur pur. A cette époque où j’étais jeune et fringant je combattais les ennemis de notre royaume au nom de la liberté. J’appartenais à l’élite des épéistes, j’étais un chantelameur. Nous parcourrions sans cesse les terres de notre Seigneur à cheval. Notre quête n’était autre que de veiller à la protection du royaume pour empêcher les invasions barbares d’avancer dans nos frontières. Nous formions un cercle soudé par l’amitié et personne ne nous égalait au combat. Fier et solide, la tête haute dans nos harnois de métal, nous faisions chanter nos lames elfiques et pourfendions ceux à qui l’on ne savait faire retrouver la raison.

Lorsque nous rentrions de campagne, notre roi nous offrait l’alcool et les femmes dont nous avions besoin pour panser nos plaies. Toutefois nos ripailles ne furent guère excessives.

C’est durant cette période que je fis la connaissance d’une charmante demoiselle dont le nom restera tu jusqu’à la fin de ma vie. L’amour embrasa mon cœur et enchaîna la liberté appréciable dont je pouvais jouir en ma condition de chantelameur. Je me souviens d’un jour de joute près des remparts extérieur de la ville ou nous assistions, elle et moi côte à côte…Nos épaules se sont frôlées…Et la raison m’abandonna. Dès lors j’abandonnais mes compagnons et ne les voyait plus qu’en de rares occasions. Toutefois, grâce à l’amour qu’ils me portaient et aux noms de toutes nos conquêtes notre amitié perdura.

Vint un jour où notre Seigneur nous fit quérir. Il nous expliqua toute une nuit que nous allions être dépêchés vers une frontière hostile jusqu’alors très peu surveillée. Le jour même l’un de nos éclaireurs en était revenu au galop pour lui annoncer qu’une invasion massive s’y préparait.

Le lendemain nous scellions nous montures et accrochions nos bagages sous le porche des remparts. Alors que nous allions nous mettre en route je pu apercevoir le visage de ma compagne au milieu des la foule qui nous entourait. Elle paraissait si triste… »

Citation :

Annonciateur

Le vieillard ne supporta pas de se remémorer de tels souvenirs et une larme perla sur sa joue droite. Il reprit la voix chevrotante, tentant de contenir la boule glaciale qui s’était insinuée dans sa gorge :

« …Je décidais alors de baisser les yeux et je grimpais sur ma scelle, prêt à partir me battre au nom de nos idéaux.

Nos chevaux étaient tous tournés dans la même direction, notre Général avait déjà prit la tête et venait de baisser la visière de son casque. C’est alors que mes oreilles furent attirées par une mélodie douce qu’un barde nous offrait. La foule se tu pour laisser place au doux son des deux flûtes qu’il tenait. Leurs chants duelesque résonnaient sous le porche des remparts. Mon esprit s’embruma, mon cœur se resserra. »

Le vieil homme frappa du poing sur la table en serrant la mâchoire et il explosa en pleure de véritable chagrin.

« Je n’aurai jamais du, je n’aurai jamais du…

Notre guilde de chantelameur fut défaite sur les frontières, notre royaume fut rasé. Je perdis la totalité de mes compagnons, je perdis la vue. Lorsque je revins sur les ruines de notre forteresse ma compagne avait disparut. Plus jamais je n’eu le bonheur de la serrer contre mon coeur. »

Les deux Elfes respectueux restaient silencieux. L’Annonciateur enchaîna :

« Dès lors ma vie ne fut plus qu’un long sentier sinueux dénué d’espoir. De village en hameau je recherchai un bonheur à jamais perdu, lavé de tous les honneurs dont on pouvait me gratifier.

Pour vivre je contais les épopées des chantelameurs dans les tavernes et mes récits étaient prit pour des légendes ou des mensonges inventés de toutes pièces. Je fini même par les croire tellement il était impensable qu’un homme comme moi ai pu être un héro. La misère s’empara de mon sort et bien vite je fus livré au froid des hivers et à la faim. De temps à autre un groupe de saltimbanque me prenait sous son aile et m’offrait le couvert contre quelques contes pour enfants. Mais je commençais à me faire vieux et bien vite ils durent me laisser derrière eux me laissant à mes deux seuls amis que sont ce vieux bâton et cette amulette qui pend à mon cou. »

Le vieillard qui avait séché ses larmes été frappé d’une tristesse indéfinissable. Son front transpirant de fièvre il paraissait anéanti. Que n’aurait-il donné pour être consolé. Il aurait voulu qu’à cet instant l’un des deux Elfes le prenne dans ses bras. Et qu'ils lui offre une derniere fois cette chaleur qui lui a tant manqué...

Citation :

Annonciateur

« Mes enfants, croyez moi, plus le temps passa et plus ses longues périodes de solitudes me firent tourner la tête, hanté par les démons d’une vie passée à jamais révolue.

C’est l’une de ses nuits ou je tentais de m’abriter du froid dans un fossé de grand chemin ou il me parla pour la première fois. Tout d’abord je cru à la folie, puis je compris que mon esprit n’était pas assez torturé pour que je puisse m’inventer un compagnon. »

La voix du vieillard devint plus chevrotante :


« Ce pendentif m’annonça la venu d’un avenir tragique. Ses paroles étaient aussi froides que le métal dont il est fait. Ses mots ne sortaient pas d’une bouche d’étain ou d’acier, elles n’étaient perceptibles que par mes oreilles. Malheureusement, seul le porteur de cette amulette peut en comprendre le sens. Il m’est impossible de vous les rapporter ici… »


La tête de l’Annonciateur baissait à mesure qu’il racontait son histoire.


« J’ai découvert plus tard que ce symbole n’était pas une emblème mais une carte de l’Univers représentant les 12 mondes qui l’habitent en chacune de ses pointes…Je connais aujourd’hui chacune de leurs particularités, leurs noms et les coutumes de leurs habitants…

Nous habitons le 7ème monde, le Särwyen… »


Le vieillard redressa soudainement la tête vers Ezekiel :

« Les cauchemars qui t’habitent ainsi que les forces malignes qui se rassemblent proviennent du 9ème monde : le Twärvalyen. Moi aussi ils me hantent et me parlent lorsque la nuit recouvre notre ciel, et je les ai même déjà rencontré.»


Poussé par une crainte démesurée causée par l’écho de sa voix le vieil homme se releva et fit basculer le banc à la renverse. Le temps lui manquait, il le savait. Il reprit d'une voix forte :

« Mon jeune ami, ce pendentif m’en protège ! »


Prit de panique, l’Annonciateur chercha le banc derrière lui. Ses jambes tremblaient. Il reprit d’une voix douce, presque éteinte :

« Je ne sais pourquoi, mais ils m’ont toujours épargné. J’en ai déduis avec le temps que cela venait de cet artefact. Et aujourd’hui…»


Le vieil homme qui ne retrouvait pas le banc derrière lui entreprit de contourner la table à tâtons pour se rapprocher de l’Elfe. Lorsqu’il fut prêt de lui il s’assura qu’il s’agissait bien de lui en passant sa main sur son visage. Il porta la main sur son torse et empoigna son médaillon en serrant le poing. Il sectionna la chaîne en tirant dessus d’un coup sec.

Citation :

Ezekiel

Pendant de longues minutes, nous avons écouté le vieillard nous raconter son histoire. Le récit qui semblait parfois plus qu'improbable m'emportait corps et âme. De temps à autres, je détournai le regard vers Blyss. Bien qu'attentive, elle ne décolèrait pas, bras croisés sur la poitrine, poings serrés, elle dévisageait le vieillard en tapotant nerveusement du pied.

Lorqu'il passa sa main sur mon visage, il me glaça le sang, tout bascula. Sa main était froide, comme vide de sang... La mort s'installait en lui, petit à petit, elle le rongeait de l'intérieur. Je fermai les yeux, pour la première fois, j'avais peur de lui, peur qu'il me contamine par sa vieillesse, peur qu'il me communique ses peurs, peur qu'il termine son histoire... Et s'il se trompait, et s'il fabulait tout simplement, pourquoi pas un fou, et si mes rêves n'étaient que de pures créations sorties tout droit de mon esprit torturé ... et si ... et si .... Les idées se bousculaient dans ma tête. Je voulais reculer mais mes jambes ne m'obéissaient plus...

Blyss se leva, lentement, calmement, décidée... Elle posa la main sur le bras du vieillard qui me troublait tant. De l'autre, elle sortit sa dague de son étui. Ses yeux s'assombrirent, sa machoire se crispa. La bouche contractée, elle lui siffla à l'oreille...

« Touchante histoire vieil homme, tu en aurais fait plus j'aurais eu du mal à te croire... Maintenant dis nous tout et vite, ces ténèbres ! et surtout que lui veux-tu à Ezekiel ? »

Citation :

Annonciateur

L’Anonciateur laissa l’Elfe poser sa main sur son bras. Ses yeux et sa bouche se crispèrent lorsqu’il entendit la lame de sa dague sortir de son étui.

« …surtout que lui veux-tu à Ezekiel ? »

L’Annonciateur ferma les yeux satisfaits. Il inspira une longue bouffée d’air, serein, puis il posa sa main tremblante sur celle de Blyss et sourit. Il lui dit d’une voix douce :

« Ainsi donc, tu t’appels Ezekiel. »

Le vieillard laissa résonner ses paroles quelques secondes et répétait ses propres mots mentalement.

« Ezekiel… Ezekiel…Ezekiel…»

Le vieil homme s’accroupit devant le rôdeur et caressa la main de Blyss pour ôter ses craintes. Il approchât son visage de celui d’Ezekiel jusqu’à sentir son souffle. Ses yeux blancs clairsemés de vaisseaux sanguins paraissaient capables de voir le visage de l’elfe, comme si il pouvait lire dans ses pensées.

« Mon enfant… »

L’Annonciateur passa sa main sur son visage et fit tendrement pivoter sa tête sur le côté. Ses yeux débordaient de tendresse.

« Prend le ! Accepte ce pendentif…Ezekiel. »

Les secondes qui suivirent furent accompagnées d’un silence de réflexion.

Le vieillard écoutait la respiration de Blyss. Il attendait de recevoir son aval pour tendre son poing et offrir à Ezekiel la protection ultime contre le Cercle des Ombres : "Le Treizième".

Le contact de cette main noueuse et fripée par le temps était froid mais doux, il la fit tressaillir. Pourtant, contre toute attente, elle n’ôta pas la sienne comme elle l’aurait habituellement fait. Ce geste semblait provenir des temps anciens, enfouis dans sa mémoire. Elle n’en serrait néanmoins pas moins fermement le pommeau de sa dague.

Elle suivait le moindre des mouvements du vieillard et lorsque son visage fut à quelques centimètres de celui d’Ezekiel, ses traits se crispèrent.

Elle jeta un œil à son partenaire afin d’y déceler un signe, n’importe lequel. Leurs regards se croisèrent, le vieil homme s’était tu laissant résonner le lourd silence qui régnait. Elle ne savait que penser de lui, il attendait visiblement quelque chose d’Ezekiel, il allait lui confier ce qui, selon lui, l’avait protégé toute sa vie. Il allait certainement mourir là, devant eux, et avant de rendre l’âme il rendait son pouvoir ou plutôt il passait le pouvoir, mais lequel ?

Elle ferma les yeux un court instant, défit sa main de celle du vieil homme et se pinça le haut de l’arête du nez, ses sourcils se froncèrent, elle cherchait sa concentration mais dû déclarer forfait, elle n’arrivait pas à faire le point calmement, tout était encore trop présent, chaque élément s’enchevêtrait pour ne plus donner qu’une masse informe et uniforme.

Elle rouvrit les yeux sur son compagnon, le dévisagea encore quelques secondes puis haussa les épaules en soupirant. Il déciderait de lui-même, comme ils en étaient convenus quand ils décidèrent jadis de s’associer : chacun devait quoi qu’il advienne toujours faire en sorte de rester libre de ses choix.

« Bien » fut le seul mot qu’elle trouva pour venir à bout de ce silence chargé de pensées éparpillées en tout sens.

« Explique-nous mieux. Quand Ezekiel prendra cet artefact que se passera-t-il ? Pourquoi lui ? Qui est cette voix ? Tu en as parlé, tu l’as entendue, qui est-ce ? »
La vitesse de son discours s’accélérait peu à peu, à mesure que les questions se bousculaient une à une son énervement refaisait surface.

« Bon sang tu viens, tu nous balances tes histoires à la tête comme ça, tu nous appelles tes enfants ce qui m’insupporte assez, tu tentes de me radoucir, mais dans quel but, qu’espères-tu donc vieil homme ? »

Citation :

Ezekiel

Pourquoi moi, pourquoi me demandait-il de prendre son pendentif ? Il ne connaissait pas mon nom quelques minutes avant et voilà qu'il me supliait presque d'accepter cet objet... Son visage si proche du mien, son regard éteint, on eut dit qu'il faisait tout son possible pour augmenter mon malaise.

Quand Blyss enleva son poignard, je me sentit encore un peu plus vulnérable. Je compris qu'elle me laissait prendre la décision, accepter ou non cet objet dont je ne connaissait rien, ni les pouvoirs, ni les effets. Tout s'accélèrait, je pliais les épaules, comme pour mieux supporter le poids qui pesait sur elles. Peu après notre rencontre, nous avions décidé que bien que faisant équipe, chacun était libre d'agir comme il l'entendait. Mais l'eau avait coulé depuis cette époque, Blyss était toujours ma partenaire et me voyait comme tel, mais pas moi. Mes sentiments pour elle allaient crescendo... pourtant, je m'étais toujours interdit de lui en parler de peur de la perdre.

A cet instant, je compris que ce n'était plus mes sentiments que je devais craindre, mais ce vieillard et son objet qui me torturait l'esprit. Et si je prenais la mauvaise décision... et si le pendentif me séparait de Blyss... Le doute s'installait en moi un peu plus à chaque seconde.

J'aurais voulu hurler de colère, faire sortir cette rage qui me rongeait, balayer d'un cri ces derniers jours, que tout cela ne soit qu'un mauvais rève. Pourtant, il était bien là, à quelques centimètres, scrutant mon âme de ces yeux privés de vie...

Blyss prit les choses en main, harcelant soudain le vieil homme de questions, retrouvant presque l'assurance dont elle avait toujours fait preuve. Mes yeux se perdirent dans son regard, je m'y réfugiai, incapable de parler, de bouger. Elle savait, elle sentait ma détresse et une nouvelle fois venait à mon secours...

Citation :

Annonciateur

L’Annonciateur déposa le symbole sur la table.

« Ce que j’espère ? »

Le vieillard se releva d’un seul coup sans montrer la moindre marque de faiblesse. Ses yeux blancs s’éteignaient. Leurs surfaces humides s’assombrissaient comme si de minuscules gouttelettes d’encre s’y répandaient en partant de leurs coins. Une vapeur fine commençait à en émaner, puis la vapeur se transforma en brume et les traits du vieil Annonciateur se durcirent. Il recula et la table bougea, son bâton tomba sur le sol, il ne semblait avoir aucun mal à tenir debout. Des traces de mains sorties du Néant palpaient sa gorge et son visage, il inclina sa tête en arrière pour les repousser. La pression des doigts fantomatiques enlaçait sa trachée.

Le vieil homme posa ses mains sur deux bras invisibles en cherchant à se défaire de l’étreinte étouffante. Son visage devint rouge, il se débattait corps et âme au supplice des Ombres malfaisantes.

Soudain ses pieds décolèrent du sol, il se raidit tout entier. D'une voix étouffée il hurla :

« EZEKIEL ! LE PENDENTIF ! PRENDS CE PENDENTIF ! »

Le corps du vieillard fut projeté contre le mur de planche. Sa tête heurta le bois sèchement et fit rebondir son corps en avant. Il se retrouva face contre terre le nez et la bouche en sang. Ses doigts se crispèrent en raclant le sol, les paumes ouvertes, puis les poings fermés.

La porte du repère s’ouvrit en claquant violement et fit trembler les fondations. L’une des fenêtre vola en éclat au même instant, puis la table de bois massif commença à reculer poussée par un vent d’une puissance incroyable. Son pied droit le plus éloigné de l’entrée se coinça contre une latte de plancher, son bord avant se souleva et par force, la table se cabra et fut projetée contre le mur opposé. Le Treizième tomba sur le sol.

Le vieillard releva la tête et se mit à quatre pattes pour se relever. Son visage devint mauvais. Sa voix changea, elle devint plus profonde, plus grave, plus agressive, plus puissante :

« QUOCHERÄZE TWÄRVALYEN CEDRÄLAZE SANDRÄLAZE! »

Il se releva et tendit la main vers son bâton d’os sculpté. Le bâton frémit, puis il se souleva mu par une force invisible et vint rejoindre la main du vieil Annonciateur.

« Je suis l’Annonciateur et je t’interdis ! »

Le vieil homme joint ses mains sur son bâton et baissa la tête en murmurant des paroles étrangères. Une lueur blanche émana de ses mains jointes. La sphère blanche grossis bien vite, suffisamment pour l’entourer lui et ses hôtes en dévoilant leurs invités. Des Ombres s’agitaient de toutes part dans la sphère lumineuse.

D’une voix sèche l’Annonciateur ordonna :

« Le pendentif. Ramassez le ! »

Citation :

Ezekiel & Blyss

En un clin d’œil ce lieu aux contours si nets s’était transformé en terrain de combat. L’Annonciateur fut progressivement gagné par les ombres. Les yeux de la demi elfe s’écarquillèrent devant un tel spectacle. Ses sens étaient encore trop engourdis par les événements récents pour qu’elle comprenne immédiatement ce qui se déroulait. Des mains fantomatiques s’abattirent brusquement autour du cou du vieil homme, elle fit un pas en arrière encore… Cette fois-ci elle éleva sa dague contre elles mais elle ne fit que siffler dans le vide.

Il tenta de se lever mais des chaînes brumeuses semblables à des mains aux griffes acérées lui entravaient les jambes, le clouant à sa chaise, lui lacéraient les jambes. La lumière de la sphère libéra à ses yeux les horreurs qui venaient de pénétrer dans leur repère. Sa peur se transforma en colère, le goût du sang se rappela à lui, des images de morts envahissaient son esprit.

Tous les questionnements qui bourdonnaient dans sa tête s’étaient tus pour laisser parler son instinct. Ses yeux se mirent à briller d’une lueur inquiétante, sa lame tomba au sol et le son qui fut émis sembla résonner dans un autre monde tellement il paraissait lointain. Ses mains commencèrent à s’enflammer bien déterminées à brûler les intrus qui s’étaient invités sans son accord.

Elle tenta de localiser les assaillants qui se déplaçaient parmi les moindres recoins sombres de la pièce. Elle avait bien conscience que la pénombre jouait en leur défaveur et cela ne faisait que l’agacer davantage. Elle se mordit les lèvres fortement comme pour se rappeler qu’elle ne devait pas faillir seulement elle ne parvint pas à définir clairement les ombres. Elles se fondaient les unes aux autres, surgissaient de nulle part et disparaissaient aussi vite qu’elles venaient ou expulsaient ce qui se trouvait sur leur passage.

« Je suis l’Annonciateur et je t’interdis ! »

Bien qu’elle ne lui fut pas adressée, cette voix lugubre vint lui rappeler l’enjeu de leur discussion et elle opéra comme un déclic.

Le pendentif… où est-il ? Elle jeta un œil sur les restes de la table, le médaillon avait disparu. Son souffle s’accéléra en même temps que les battements de son cœur s’emballèrent, il fallait qu’elle le retrouve. Elle balaya le plancher d’un regard vif et, lorsqu’elle repéra enfin l’artefact, un immense halo de lumière vint l’envelopper et l’aveugler. Ses lèvres saignèrent sous les morsures répétées qu'elle s'infligeait machinalement.

« Le pendentif. Ramassez le ! »

Elle dirigea son regard noir vers la silhouette de l’humain et lui jeta en serrant les dents : « Maudit sois tu ! C’est tout ce que tu as trouvé de mieux à faire pour nous éclairer de tes explications ?! ». Elle se détourna alors de lui et se jeta au sol la main en avant prête à se refermer sur le médaillon.

Les mains se détachèrent d’Ezekiel pour foncer sur Blyss, décidées à ne pas la laisser s’emparer de l’artefact. Le plancher trembla, se lézarda. De partout des planches furent projetées en l’air, libérant des colonnes de fumées nauséabondes, chargées d’odeur de putréfaction.

Lorsqu’elle toucha enfin l’objet, le sol se déroba sous ses pieds pour laisser place à un trou béant d’où des cris sordides montèrent. Les murs du repaire se fissurèrent, le toit s’envola, emporté par une rafale de vent plus violente que les autres. Bientôt, il ne resterait plus rien de la bâtisse…

Libéré de ses liens, Ezekiel plongea, attrapant la main de sa partenaire, l’empêchant de tomber dans le vide. Il tira de toutes ses forces pour la faire remonter mais le plancher céda sous le poids, les entraînant dans une chute vertigineuse…

Des visages familiers leur apparurent… Aydan, le mentor de Blyss qui avait veillé sur elle alors qu’elle n’était qu’une enfant, la mère chérie d’Ezekiel… Le pendentif que Blyss portait autour du coup se mit à rayonner, semblant répondre à celui du vieil homme. La voix douce de sa mère enveloppa Ezekiel, le rassurant… « Vous devez le faire, vous devez… »

Elle ne termina pas sa phrase, son visage se tordit de douleur, celui d’Aydan qui souriait à Blyss en lui murmurant les mêmes mots quelques secondes avant se déforma pour laisser la place à un visage décharné.

Poursuivant leur chute effrénée, les deux elfes basculèrent dans l’inconscience… Leurs yeux se fermèrent, leur destin venait de basculer, définitivement, les entraînant vers une mort promise, vers une nouvelle réalité…

Les derniers mots qu’ils entendirent furent ...

Citation :

Annonciateur

Il est ce monde une réalité que les mortels du 7ème monde ne peuvent toucher du doigt que dès lors qu’on leur en donne la clé. Cette réalité dépasse l’entendement et pourtant, elle est le fondement de la nature, de la création. Au-delà du voile de brume qui nous relit les uns aux autres existe d’autres espaces, d’autres temps, d’autres univers. Le premier, celui qui créa le reste des mondes que représente le Treizième s’appel le Nihïlyen le Monde du Néant.

Le Nihïlyen également appelé monde originel est l'essence de l'univers. Il répercute sa neutralité au travers le monde et en détermine les frontières.

La notion de néant est directement et indissociablement liée à la notion d'existence. Évoquer le néant revient à révoquer l'existence et réciproquement. C'est pourquoi cette notion est incompréhensible par les mortels du 7ème monde.

La seule chose que l’on puisse faire lorsqu’il n’existe rien, la seule action juste et la première action subjective, témoin de la personnalité est de créer.

Les derniers mots qu’ils entendirent furent...

« Mes enfants réveillez vous. »

Le vieillard était toujours assis sur son banc de bois brut. Il était tourné vers les deux elfes et sentait leur respiration saccadée. Ils se réveillaient. Lorsqu’ils ouvrirent les yeux le vieil Annonciateur tenait le Treizième, pendentif gardien des secrets del'Univers. Sa main flétrie par les âges tremblait par peur des réactions.

« Si vous ne possédez aucun souvenir de votre voyage ne vous inquiétez pas, vous comprendrez plus tard qu’il ne pouvait en être autrement. Vous revenez du Nihïlyen, il est le premier des 12 mondes et vous allez, afin d’hériter mon savoir, traverser chacun de ces mondes ensemble. Je vous accompagnerai quand les chemins seront trop dangereux et vous guiderai à travers l’Univers. »

L’Annonciateur marqua un temps de pause.

« Je ne suis pas seulement un vieil homme dont le regard est noirci, je ne suis pas seulement un Annonciateur de malheur, je ne suis pas non plus un simple infirme au passé de héros, je suis un Passeur. »

Le vieillard déposa le pendentif sur la table de bois et le poussa du bout du doigt.

« Avant de partir pour l’au-delà, je veux vous montrer… »

Citation :

Ezekiel & Blyss

Le repaire… il était intact… pourtant je l’avais vu s’effondrer, quelques secondes, quelques minutes, quelques heures auparavant… Ma tête me faisait un mal de chien. Assis sur une chaise, je tentai de reprendre mes esprits… Combien de temps avait duré son petit jeu ? Il disait que nous allions apprendre, comprendre… mais rien, les seuls souvenirs que je gardais, c’était cette chute vertigineuse dans le vide, vers le néant…

Une image revient soudain à mon esprit… Ma mère, le visage hurlant de douleur… La colère m’envahit à une vitesse fulgurante. Je hurle au vieillard en me levant.

« Espèce d’ordure… A quel jeu joues-tu avec nous ? Je devrais te crever ici, comme un chien. Comment oses-tu jouer avec son âme ? »

Je me réveille en aspirant une grande bouffée d’air, comme si pendant ce sommeil agité je n’avais pu respirer un seul instant. Le vieil homme est revenu dans sa position initiale, rien n’a bougé, tout est intact.

Je ne m’étonne pas plus que ça, ayant déjà eu un avant goût de ces sensations de flottement entre deux réalités venues d’on ne sait où. Ma main picote légèrement, elle se souvient encore du contact irréel du médaillon.

Nous voilà de nouveau dans notre existence, ce 7e monde comme il l’appelle. Je me passe la main dans les cheveux, je ne me ferai jamais à ces distorsions. Une angoisse monte alors en moi. Ezekiel laisse gronder sa colère, je le laisse faire à ma place, je n’en ai pas la force. J’essaye d’identifier ce sentiment qui prend peu à peu place en moi. Je reste un peu hébétée, dans l’expectative, je ne me souviens pas avoir rêvé.

Les paroles de l’Annonciateur se mélangent le néant, le néant… il fait sombre… Aydan est en danger. Un sentiment d’urgence balaye alors toute colère profonde, toute angoisse. Autour de moi dans la ville, le chaos… ils étaient là, comme ils étaient dans cette pièce, je dois savoir maintenant.

« Transporte-nous à travers tes mondes. Je veux y retourner ».

Elle voulait y retourner… je ne comprenais plus. Je me mis à faire les cent pas, essayant de me calmer, si je le tuais, nous ne saurions jamais… Je serrai les dents pour ne pas continuer à hurler. Je jetai de temps à autre un coup d’œil au vieillard. Impassible, il ne bougeait pas, ignorant nos remarques, il attendait…

« Mais Blyss, tu veux y retourner, tu veux le laisser se servir de nous ! Mais qu’est-ce qui t’arrive ? Tu veux revoir ces monstres ? Et cet homme qui est apparu avec ma mère, c’est pour lui que tu veux y retourner ? »

Je sentais la pression monter, mes muscles me faisaient mal, tendus à l’extrême. Je m’agenouillai devant elle en lui prenant les mains. Plongeant mon regard dans le sien.

« Tu en es certaine, tu es prête à mettre ta vie en jeu ? »

Elle ne dit pas un mot, se contentant d’acquiescer du regard… Je balançai au vieillard.

« S’il lui arrive quoi que ce soit vieillard, passeur ou non, je te promets de te retrouver, sur ce monde ou sur un autre, mort ou vivant, et de te le faire regretter ! »

Citation :

Annonciateur

Le vieillard ne releva pas. Il fronçât simplement les sourcils et posa sa main sur le pendentif qu’il caressait du bout du doigt. Il l’empoigna et le ramena vers lui, puis il chercha son bâton et se releva. Il rangea le Treizième dans l’une des poches de sa veste en haillon et se tourna vers la porte. Son front transpirait, ses yeux fiévreux étaient presque fermés.

Sèchement il annonçât aux deux elfes :

« Vous n’êtes pas encore prêt. Vous ne voyez pas l’intérêt que je vous porte. Vous ne méritez pas mon enseignement que je m’en vais prodiguer à d’autres. Le temps m’est compté et je n’ai pas le temps de commettre une autre erreur.»

Le vieillard s’avançât vers la porte d’entrée et s’arrêta un instant :

« Cette rage qui bout dans tes veines Ezekiel, c’est cette même rage qui bouillonnait dans mes veines lorsque j’avais ton âge. Et je sais comme tu le sais aujourd’hui que contrairement à ce qu’en disent les gardes, il est possible de s’échapper de la prison d’Arcode. »

Le vieil homme porta la main sur son chapeau en souriant et inclina la tête.

« Un jour peut être… »[/quote]

Qu'est-il en train de dire ? Non tu n'as pas le droit. Arcode ? Comment sait-il ? Il connaissait Ezekiel déjà ?

J'ai l'impression de me recevoir une gifle en pleine figure. Il ne m'en fallait peut être pas tant pour me remettre d'aPlomb, mais pour le coup je suis vraiment réveillée. Je me rapproche de lui d’un bond et vais le saisir par l'épaule.

"Non. Je refuse. Peut être que cette réalité n'en garde aucune trace, mais je ressens encore et me souviens des événements qui ont eu lieu ici. "

Je le tourne vers moi, tend mon bras mis à nu sous ses yeux éteints et lui demande narquoisement "Tu vois les frissons que j'en garde ? Non, bien sûr, tu le sens n'est-ce pas ? As tu oublié ce que l'on ressent la première fois qu'on vit ça ? Et bien voilà ! Ca te rappellera des souvenirs".

Je ne lui laisse pas le temps de réagir et enchaîne directement emportée dans mon élan, je crois savoir ce qui a pu lui déplaire mais j’embraye sur autre chose que cette raison même.

"Tu nous joues le susceptible, il menace de te tuer et alors ? Qu’est-ce qui compte ? Ton intérêt pour nous et la mission que tu t’es fixée ou ta vie propre ? Tu en as vu d’autres, non ? Vieil homme ! Tu as un panel d’émotions intéressant, du vieillard implorant tu deviens le vieillard surpuissant avec tout d’un coup sa petite pointe de fierté."

Mes mains glissent de son épaule à son visage, sa peau n’est plus froide comme elle l’était auparavant. Ezekiel me fait un signe, j’acquiesce en plissant les yeux.

"Nous ne sommes pas prêts dis-tu ? Peut être, mais présente moi le suicidaire qui se lancerait corps et âme sans s'interroger ? Sans se révolter de ce qui lui passe par la tête, ces intrusions permanentes qui nous guettent à chaque pas depuis ton arrivée. Un benêt oui, seul un benêt te suivrait aveuglément. Alors ne me fais pas croire que tout ça nous est arrivé par erreur, n'est-ce pas vieil homme ? Tu es venu trouver Ezekiel, tu le connais et tu le cherchais. Seulement maintenant il n’est pas seul et contrairement à ce que tu fis jadis, il ne va pas laisser quelqu'un derrière lui". Et c’est plus fort que moi, je termine par ce qui me semble être la raison de son rejet.

Citation :

Ezekiel

Je restais là, la rage au ventre, avec ce sentiment d’être manipulé en permanence. Arcode, il connaît Arcode… il sait pour moi…

Je regardai Blyss qui venait soudainement de reprendre ses esprits à l’idée de ne pas repartir, de ne pas continuer cette expérience dont le but nous échappait encore. Sa démonstration n’attendait pas de réponse, juste des actes, qu’il nous renvoie là-bas…

Tandis qu’elle le harcelait de questions, je m’approchai lentement du vieillard et m’adossai à la porte, lui coupant toute retraite vers l’extérieur. Il était apparu dans nos vies, lui et les visions qu’il provoquait, il ne partirait pas maintenant…

Doucement, je tendis la main vers lui, fixant Blyss dans les yeux. D’un simple regard, elle comprit et continua son interrogatoire. J’attrapai la chaînette qui dépassait de sa poche et la fit glisser entre mes doigts sans un bruit, jusqu’à sentir le métal froid. D’un geste brusque, j’arrachai le pendentif de sa poche et lançai un violent coup de pied dans son bâton, Blyss l’attrapa au vol.

« Alors monsieur le passeur, on fouille dans la vie des autres, on les utilise… Comment te sens-tu maintenant sans tes maudits artefacts ? Bien moins puissant je suppose… Alors maintenant, je vais t’expliquer la situation et tu vas bien m’écouter. Blyss t’a demander de continuer ton "enseignement" et tu vas le faire, tu vas nous ramener là où Blyss t’a demandé… »

Je serrai la chaîne du pendentif entre mes doigts, nous devions comprendre, Blyss avait sans doute raison. Ces visions, ces rêves… et puis ce massacre sur la place, ce sang était bien réel… Il fallait que cela s'arrête et lui seul semblait connaître la clé de l'énigme. De gré ou de force, il parlerait, il le fallait.

Les derniers mots de Blyss résonnèrent dans ma tête… Ce serait Blyss qui le dérange…

« Une dernière chose, Blyss est moi formons une équipe, indissociable. Et si tu comptes l’évincer, fais une croix sur tes espoirs, tu passeras tes pseudo pouvoirs à quelqu’un d’autre… »
[/quote]

Citation :

Annonciateur

L’Annonciateur resta de marbre. Il se contenta d’écouter les paroles des deux Elfes en fronçant les sourcils.

Son oreille se raidit quand il entendit la chaînette du Treizième glisser de sa poche. Il tourna son visage vers Ezekiel et pencha sa tête sur le côté en affichant une moue désagréable.

Lorsque l’Elfe envoya son bâton à Blyss il explosa, désespéré :


« Non pas mon bâton je vous en conjure. Ne laissez pas un vieil homme aveugle sans son guide. Rendez le moi ! »

A ce moment le pendentif se mit briller d’une lueur blanche qui inonda la pièce. Lorsque la lumière se dissipa le vieil homme tenait son bâton et malgré la maladie qui le rongeait il trouva la force de sourire aux deux Elfes :


« Ezekiel, tu as le pendentif. Tu es le Passeur. »

L’Annonciateur fit quelques pas maladroits en direction de la porte :


« Je crains que les habitants du 7ème monde n’aient échoué… »

Le vieillard paraissait éreinté. Ses jambes tremblantes le portaient difficilement.


« Je pars retrouver l’Oeil du Suprême. Il doit se trouver en ville. »

En fermant la porte l’Annonciateur s’adressa une dernière fois à ceux en qui il avait eut confiance.


« Blyss, accompagne le. Sans toi il n’est rien, tu dois le protéger. Tu dois le protéger de lui-même. Cette rage qu’il porte pourrait lui faire perdre bien plus que la vie. Adieu mes enfants. »

Le vieillard referma la porte derrière lui. Au même moment, son corps disparut...

Elle se précipita à l’extérieur et chercha du regard la silhouette du vieil homme. Il avait joué la fille de l’air, les abandonnant avec son fardeau. Elle rentra en claquant violemment la porte puis commença à faire les cents pas. Ezekiel ne lui posa pas de question, il avait compris. Tu dois le protéger de lui-même… quelle bonne blague… si seulement j’étais déjà capable de me protéger de moi-même… Elle soupira.

Elle ne lui jeta pas un regard, se renferma dans sa bulle et visualisa de nouveau leurs deux visages se fondre l’un dans l’autre. La rage qu’il avait en lui… c’est pourtant bien cette rage intérieure qui nous avait réuni. Voyager à travers les mondes… Le passeur…Aydan, le néant… Ezekiel et ce pouvoir qu’on ne sait contrôler…

Soudain inquiète de sa réaction face aux événements, elle leva ses yeux vers lui. Il était en train d’observer attentivement le médaillon. Elle fit quelques pas dans sa direction quand une douleur lancinante vint lui rappeler une promesse ancienne. Elle se mit à étreindre son ventre et à le presser fortement pour atténuer le mal qui allait crescendo.

- Bon sang pas maintenant ! pas si tôt !

Elle releva un pan de sa robe. Il fallait qu’elle la voie de ses yeux, il était trop tôt, trop de choses se bousculaient, tout se précipitait.

Son visage était blême, la marque avait bel et bien fait son apparition. Elle fit glisser ses doigts dessus à plusieurs reprises puis releva de nouveau la tête sur le visage de son ami. Il semblait hypnotisé par ce médaillon et n’avait pas prêté attention. Il ne doit pas savoir, pas encore… Elle s’avança alors vers lui et de sa main lui caressa le visage.

-Ezekiel, le pendentif, commence à voir comment ça marche, il faut le comprendre, mais je t’en prie sois prudent.

Elle leva les yeux en l’air, cherchant ses mots, cherchant un prétexte pour s’éclipser.

-Bon je vais chercher quelques herbes histoire qu’on aborde ces voyages l’esprit ouvert.

Elle lui sourit et lui fit un clin d’œil.

-J’arrive.

Sur ces paroles, elle ne prit pas la peine d’attendre sa réponse et se hâta vers l’extérieur. abandonnant provisoirement Ezekiel à son sort. Il ne devait pas la suivre, elle seule était concernée, il fallait qu’elle règle cette affaire rapidement pour revenir à ses côtés au plus vite. Elle s’enfonça dans la forêt et se dirigea d’un pas leste vers la demeure de celui qui la rappelait, elle devait le voir et mettre un terme à cette promesse. C’est du moins ce qu’elle espérait. Eze, pardonne-moi... tu t'en sortiras je le sais.

Citation :

Le Treizième

« Ezekiel…? »