Ma vision se brouille, tout devient flou, tout est sombre, l’air me manque… J’ai froid, mes muscles commencent à se tétaniser, ce tunnel englouti… Il faut pourtant que je survive, que je nage jusqu’à la sortie, pour cette promesse que j’ai faite… Je puise au plus profond de mon âme pour retrouver les forces qui me font défaut. J’accélère le rythme, mes muscles me font de plus en plus mal. *Surtout ne pas lâcher* L’eau devient plus claire, la sortie n’est plus qu’à quelques mètres…
Enfin, je sors la tête de l’eau, instinct de survie que je ne peux réfréner, et aspire une grande bouffée de cet air salvateur. Allongé sur le dos, bercé par les remous de l’eau, je reprends mes esprits et éclate de rire. La liberté, cette liberté que je n’osais même plus espérer, promis à une mort lente.
Je rampe jusqu’à la rive et me hisse sur la berge. Mon estomac hurle, la faim me tord le ventre. Je dois me presser, pas le temps de souffler ni de penser à cela, les gardes doivent déjà avoir compris et je ne passe pas inaperçu sans mes guenilles de prisonnier, et cette marque bien visible dans mon dos. A quelques centaines de mètres s’élèvent des fumées, sans doute un village, mon seul espoir. Pas le temps de réfléchir, je cours à perdre haleine jusqu’à la lisière du bois.
Une petite maison se dresse devant moi. Dans le jardin, du linge aux couleurs passées par le temps sèche. Peu importe, cela fera l’affaire. Je rampe dans l’herbe haute, relevant de temps à autres les yeux, m'assurant que les occupants ne se rendent compte de rien. Soudain, ma tête heurte quelque chose. Apeuré, je me redresse et me retrouve face à face avec un petit garçon humain d’à peine trois ans. Il me sourit, la méchanceté des hommes n’a pas encore achevé son travail de sape dans son esprit insouciant.
Je pose mon doigt sur ses lèvres pour lui faire comprendre de ne pas dire un mot, de ne pas faire de bruit. Il prend cela comme un jeu, ses yeux pétillent lorsqu’il pose amusé son doigt sur mes lèvres. Mon ventre se remet à gargouiller de nouveau, faisant sourire de plus belle le gamin. Rassuré, je me redresse et attrape une chemise et pantalon encore humide. Je me laisse glisser au sol pour enfiler ma nouvelle tenue mais mon visage se crispe, le gamin à filé… Pas le temps de fermer la chemise, je bourre les pans dans le pantalon et me relève pour courir vers le bois. Je n’ai pas le temps de faire le moindre pas…
Il est là devant moi, me tendant un morceau de pain… Je n’hésite pas un instant et saisi cette nourriture providentielle dans laquelle je mors à pleine dent et manque de m’étouffer en engloutissant la dernière bouchée.
Un grincement de porte me fait sursauter…
« Arwon, tu es là ? »
Sa mère l’appelle… Je prends juste le temps de le remercier d’une caresse sur la joue et file vers le bois à toute allure. Là j’attendrai la nuit et reprendrai mon chemin, je dois retrouver mon village…
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La nuit est enfin tombée sur la forêt, couvrant le sol d’une brume épaisse. Je dégage les branches de mon abri de fortune et repars en direction du village. Cette voix, la mère de ce gamin, je la connais, j’en suis certain, c’est Kalio, la femme de l’apothicaire que ma mère consultait pour soulager ses maux de têtes permanents. Sans le savoir, je suis donc revenu à mes origines, le destin est étrange parfois.
Je glisse le long des ruelles sombres dans cette nuit sans lune. Ces ruelles, je les ai parcourues tant de fois… Je les connais comme ma poche, je pourrais retrouver ma maison d’enfance les yeux fermés.
Quelques minutes plus tard, mon estomac se noue, les souvenirs refont surface dans mon esprit. Je ferme les yeux, je ne veux plus revoir cette scène qui me hante chaque nuit, je ne veux plus voir le visage de ma mère criant son désespoir…
J’avance doucement et entre dans la maison. Rien n’a changé, la table, le verre brisé sur le sol, la marre de sang qui a tâché définitivement le planché. J’essaie de chasser ces images de mon esprit et quitte la cuisine. Je monte l’escalier et ouvre la porte du grenier. Maintes fois j’ai déjà fait ce chemin, mais cette fois, ma mère n’est plus la pour me tenir la main… *Tu me manque*
Je vais au fond de la pièce et arrache une planche du sol. Je plonge le bras et en retire un petit coffre de bois. Ce contact m’électrise, je le regarde avec mes yeux d’enfants. Ma mère m’avait montré cette cachette alors que je n’étais encore qu’en jeune garçon, m’expliquant que mon père ne supportait pas qu’elle porte son pendentif, hérité de ses ancêtres. Je force la serrure pour saisir ce qu’il me reste de ma mère. Je laisse filer la chaîne entre mes doigts et la passe autour de mon cou, dissimulant le pendentif dans ma chemise. J’attrape le carnet, ce journal où ma mère a écrit son histoire, notre histoire, m’expliquant à l’époque qu’un jour je comprendrais… Je le glisse contre ma poitrine et referme le coffre pour le glisser dans le trou où il dormait depuis de longues années. Je me recueil quelques instants sur ce coffre, faisant enfin le deuil de ma mère.
Je dois fuir désormais, quitter à jamais ce lieu maudit. J’attrape une des torches du couloir et l’embrase. Le feu purificateur… Quelques instants plus tard, je pousse une dernière fois la porte de cette maison dont il ne restera bientôt plus rien, serrant contre mon cœur les effets d’Orgiane…
