Pendant plusieurs jours, je suis resté à la veiller, lui changer ses pansements, lui faire sa toilette… Ne sortant que pour chasser le repas, je ne m’absentais jamais très longtemps, de peur qu’un chasseur de prime profite de l’occasion pour empocher la prime qui plane sur nos têtes…
Pourquoi, je n’en sais toujours rien, mais j’ai profité de ce moment pour lui raconter mon histoire… Mon enfance, partagée entre une mère que j’aimais plus que tout au monde et un géniteur aussi stupide que violent… comment un soir de folie, j’avais égorgé celui qui nous torturait corps et âme ma mère et moi… mon emprisonnement dans la citadelle d’Arcode… ma rencontre avec Savage, mon impuissance à la protéger lors de l’attaque, comment elle était morte dans mes bras…
Je lui dévoilais chaque épisode de ma vie, la gorge serrée, l’estomac noué. Je savais qu’elle ne pouvait me répondre. J’espérais qu’elle m’entendait mais quelle aurait tout oublié à son réveil, sorte de confession pour la galère dans laquelle je l’avais entraînée…
La seule chose que je ne lui ai pas dévoilée, c’est mon inquiétude à son sujet, la peur que j’avais de la perdre, la joie qu’elle m’apportait chaque fois qu’elle prenait sa moue boudeuse, le trouble qu’elle provoquait parfois…
Je suis dans l’obscurité. Cette masse noire épaisse qui s’empare de mon corps, pénètre en moi par tous les pores de ma peau, je ne peux l’empêcher, elle en vient jusqu’à toucher mes os. Elle est glaciale, envoûtante et inhibe tous mes sens. Je ne parviens plus à bouger, je n’ai plus aucune notion d’espace ou de temps. J’ai beau tenter de porter mon regard dans tous les sens, je ne distingue plus rien. Je sens mon cœur battre dans ma poitrine, son rythme est lent et pourtant une profonde angoisse m’étreint. Si mon cœur bat cela signifie que je suis dans la réalité et pourtant….
Une voix semble flotter dans cette immensité restreinte à mon seul esprit. Au loin c’est un murmure inaudible qui vient vers moi. Il se rapproche et vient jusqu’à mes oreilles pour y chuchoter une histoire. Je sens mes larmes couler et transpercer peu à peu le noir environnant. Mon cœur se met à battre plus rapidement à mesure que le récit s’emballe. Les hésitations de la voix ne font que refléter ses propres marasmes. Cette histoire, je ne veux pas l’entendre. Tais toi, laisse moi, elle me fait mal, je n’ai pas besoin de ça, je ne veux pas connaître ce garçon, je ne veux pas lui raconter à mon tour. Mes larmes roulent le long de mes joues et viennent atterrir dans ma bouche, venant réveiller mes papilles en y abandonnant un goût salé d’amertume. Peu à peu, je sens une colère sourdre dans mes entrailles. Cette colère c’est la sienne qui vient réveiller la mienne.
Je reconnais cette voix, Ezekiel…
J’ouvre les yeux.
Je passe à coté du lit, une fois de plus... Depuis ce matin, je fais les cents pas dans cette pièce trop petite pour contenir la colère que j'éprouve... Je dépasse la couche et m'arrête brusquement. Mes muscles se tétanisent, j'attends ce moment depuis longtemps.
Je ne réfléchis pas, fonce vers elle et l'attire dans mes bras.
- Blyss... j'ai eu si peur...
Entendant le soupir qu'elle vient de laisser échapper, je relâche mon étreinte, conscient qu'elle est encore faible, surpris moi-même par mes gestes, par mes mots...
Mon corps est happé, il m’échappe. Je me sens si faible, je fulmine de me sentir si faible… tout mon être voudrait hurler de douleur de celle qui torture tous vos membres à celle insidieuse qui s’est immiscée dans votre poitrine.
Je me retrouve collée à lui, son cœur bat nerveusement mais lui semble se calmer à mesure que je reprends mes esprits. « blyss… j’ai eu si peur… » Ces paroles me ramènent complètement à la réalité. Une chaleur incroyable émane de lui et c’est à cet instant que je réalise ma nudité. Par réflexe je rabats la couverture sur moi et lui jette froidement. « Me croyais tu si faible que tu prennes peur à ce point ? » Je me satisfais de ces premières paroles jetées en guise de défense. Je n’ose lui parler de ce que j’ai entendu … je suis désolée Ezekiel mais je ne suis pas de celles qui peuvent se permettre de comprendre et partager ces blessures..., je ne suis pas prête, pas encore…
