Un funeste voyage...

J’attends son retour avec impatience en faisant les cent pas. Tendu, stressé, j’ai hâte de la revoir, même si ce doit être pour la dernière fois… Plongé dans mes pensées, je sursaute en entendant la porte s’ouvrir. Elle apparaît dans la lumière du soleil. Je la devine plus qu’autre chose. L’ombre de sa silhouette pénètre dans la pièce.

Je ne veux pas lui laisser le temps de parler, je n’aurai plus la force sinon… Debout devant elle, je lui saisis les mains en plongeant mon regard dans le sien. Les souvenirs, les images défilent à une vitesse folle. Ma gorge se sert, ma bouche s’assèche… Je sais que je dois faire vite, je ne veux pas répondre à ses questions, pas maintenant…

Après un ultime regard, je lâche ses mains, attrape mon baluchon et mon arc puis sort rapidement, sans me retourner, j’ai si peur…

Elle ne m’a pas compris, elle ne peut pas comprendre, elle ne sait encore rien… bientôt… peut-être…

Emmitouflé dans ma cape, le visage protégé par un capuchon, je marche le plus vite possible. Je dois faire vite, ils ne resteront pas longtemps à l’auberge de Bourgidus, ce n’est pas leur genre… Quand ils seront rassasiés des bières et des filles de joies, ils repartiront vers une autre ville, et je perdrai de nouveau leur trace. Je hâte le pas…

Le visage de Blyss me hante, je n’ai pas peur pour elle, elle sait se protéger seule, j’ai peur pour moi, peur de ne plus la revoir, peur de la perdre, comme j’ai perdu Savage… Cela semble bien lointain et pourtant la blessure est encore bien présente dans mon cœur, dans mon âme. Je me sens toujours coupable, de ne pas l’avoir sauvée, de ne pas avoir pu enterrer sa dépouille comme elle le méritait.

Les larmes me montent aux yeux en repensant à son regard plongé dans le mien lorsqu’elle a poussé son dernier souffle. Je ne veux plus revivre cela, plus jamais… C’est pour cette raison que je n’ai rien dis à Blyss. Si je lui avais expliqué, elle m’aurait suivi dans ce funeste voyage mais je ne peux pas, je ne supporterais pas de la perdre…

Après de longues heures de marche, j’arrive enfin à l’entrée de la ville. Je m’arrête quelques instants pour reprendre mes esprits. Je dois garder les idées claires, il le faut, ma vie en dépend, ma promesse en dépend…

Que se passe-t-il ? Son regard semble vouloir raconter une longue histoire de douleur et de haine mais il déclare forfait et s'esquive. Je fronce mes sourcils, ouvre la bouche pour lui parler mais aucun son ne s'échappe... J'ai compris qu'il ne voudrait pas répondre à mes questions inquisitoires. Je le regarde s'en aller fébrile. La porte se referme derrière lui, aspirant la lumière à l'extérieur et me laissant dans une semi pénombre. Depuis combien de temps m'attendait-il comme cela ?

Bon sang... Ezekiel mais qu'est-ce que tu me fais ? Il a pris un petit paquetage, il part en expédition mais où ? Que va-t-il faire ?

La nervosité me gagne pour la première fois. Cette situation m'agace. La douce chaleur de ses mains commence à quitter celles qu'il tenait un instant plus tôt comme pour rappeler que sa chaleur a quitté cet endroit. Etrange sensation que celle qui me hante soudain. Tout semble désespérément vide.

Au moment où mon regard commence à se perdre dans cette pièce devenue immense, il est immédiatement attiré par un petit objet scintillant sur la table. Je découvre alors un médaillon suspendu à une chaînette et posé sur une enveloppe que je m'empresse de décacheter.

Blyss,

Je te laisse ces quelques mots à contre cœur. J’aurais préféré partir sans un mot mais je te dois quelques explications. Je viens d’apprendre la présence à Bourgidus de deux hommes originaires du village où j’aurais dû grandir… Je dois leur parler de toute urgence…

Je te laisse aussi le bien le plus précieux que je possède. Je sais que tu en prendras le plus grand soin. Veilles sur lui comme tu veillerais sur moi, j’y tiens autant qu’à ma propre vie.

Je devrais être revenu rapidement, enfin je l’espère…

Prends soin de toi.

Bien à toi.

Ezekiel


"Ezekiel... Inconscient!!"

Et là, toute nervosité me quitte, cette inquiétude que je hais tant laisse place à ma colère, celle que je nourris au fond de moi, prête à resurgir à tous les instants. Je chiffone sa lettre, m'empare du médaillon et le mets autour de mon cou sous mes vêtements. Le contact froid et électrique du métal contre ma peau se dissipe très rapidement et le bijou commence à se réchauffer.

Et elle se mit en route en direction de Bourgidus dans un furieux claquement de porte.

La pluie commence à tomber, le ciel s’est assombri, laissant planer une atmosphère des plus sombres. J’arrive enfin à l’entrée de l’auberge, trempé comme une soupe. J’ouvre la porte doucement, je ne veux pas attirer l’attention, ils ne me devraient pas me reconnaître mais je ne veux courir aucun risque, je ne veux pas laisser passer ma chance…

J’avance au milieu du brouhaha, et m’attable au fond de la salle. La serveuse m’interroge du regard, levant une choppe vide, j’acquiesce d’un geste de la tête. Je garde ma capuche rivée sur la tête, à l’entrée de la ville, j’ai vu quelques affiches à notre gloire. Un frisson me parcourt le dos en repensant à Blyss…

Je laisse mon verre devant moi, je n’y touche pas, je veux garder les idées claires. Ils sont là, luisant de sueur, leur simple vue suffit à me donner la nausée. Une fille est assise sur les genoux de l’un d’eux. Elle pourrait être sa fille, sa petite fille même. Ils s’en moquent… Celui qui la tient essaies de l’embrasser dans le cou tandis que les mains sales de son compère s’aventure sous sa robe. Cette vision me replonge dans le passé, le visage de cette fille se trouble pour laisser place à celui de ma mère. Je manque de tomber de ma chaise tellement je tremble. Je voudrais les tuer sur-le-champ, leur décocher une flèche à chacun, stopper net le calvaire de cette pauvre fille sans doutes vendue par un marchand d’esclave…

Elle gesticule pour se libérer mais il la maintient fermement, abusant d’elle, la souillant de leur simple présence. Personne n’y fait attention, ce genre de pratique est malheureusement courant sur ces terres de barbares. Je mettrai le feu à cette auberge un jour, le brûlerai les clients avec dans un geste purificateur… Ils se lèvent enfin, obligeant leur victime à les suivre à l’extérieur. Mon sang se glace, je suis en sueur, le calme a laissé place à la tempête. J’ai envie de vomir, mon estomac me rappelle à la réalité. Je leur emboîte le pas, profitant de la porte ouverte. Agenouiller au milieu de la rue, je vomis de la bile, ils rient en me voyant, s’amusant de me voir ainsi. S’ils savaient…

Je m’essuie la bouche du revers de la manche en les regardant s’engouffrer dans une ruelle. Rassemblant mes esprits, je les suis et m’arrête à l’entrée à quelques mètres. Ils ne me remarquent même pas, trop occupés… Elle tente de crier mais pas un son de sort de sa bouche. L’un des deux lui maintien les mains dans le dos tandis que l’autre relève sa robe et glisse sa main sous sa jupe dans un rire gras, heureux de son crime.

Je repense à ma mère, je les revoie la maintenir sur la table, abusant d’elle avec la complicité de mon père. C’est insoutenable… Je lâche mon sac et mon arc et saisis mon poignard en fonçant sur eux.

Posant la main sur l’épaule du monstre qui la retient prisonnière, je l’oblige à la lâcher et à se retourner. Profitant de l’effet de surprise, je lui assène un coup de poing en pleine face. Il tombe sur le sol, là où sa mère aurait du le laisser après l’avoir mis au monde. Agenouillé, la tête plongée sous la robe de la jeune femme, l’autre me regarde, surpris de se retrouver ainsi privé de ce qu’il convoitait. Sans le laisser se relever, je lui balance un coup de pied dans le visage, ses dents craquent, ses lèvres éclatent, libérant le sang nauséabond qu’elles renfermaient depuis trop longtemps. Allongé sur le dos, il se tient le visage, hurlant de douleur.

J’attrape la jeune femme par le bras et la fait reculer derrière moi. Tétanisée par la peur, elle ne bouge pas, figée, le regard privé de vie.

« Vas-t-en je te dis, VAS-T-EN » Je hurle, libérant ma colère.

Je me retourne et saute sur ma première victime. Je ne suis plus un elfe, je suis une bête, une machine à tuer, à faire souffrir. Mes genoux lui écrasent les doigts. Je laisse glisser ma capuche sur mes épaules, lui dévoilant mon visage. Je plonge dans son regard, fouillant son âme. Je suis en transe, seule la soif de vengeance m’habite. Je lui plaque la main droite au sol puis me penche pour lui murmurer à l’oreille.

« Pour avoir posé les mains sur ma mère voici ta punition… »

Allongé sur lui, je l’empêche de bouger. Un hurlement terrible résonne dans la nuit quand ma lame lui tranche les doigts dans une lenteur insoutenable. Je me relève pour le regarder souffrir, je suis pire que lui… Je laisse son corps se calmer, lorsqu’il ne bouge plus, la terreur a emplit son regard. Il voudrait m’implorer mais pas un son ne sort de sa bouche. Je me penche à nouveau à son oreille et lui glisse…

« Pour avoir poser tes yeux sur ma mère, voici ta punition… »

Je me relève et plante mon poignard dans son œil gauche, le sang jaillit dans une gerbe morbide. Son sang ruisselle sur mon visage, le goût de la mort vient chatouiller mes narines, m’arrachant un sourire presque bestial. Son corps n’est plus que douleur. Il voudrait mourir pour abréger ses souffrances mais il est encore trop tôt…

Je glisse le long de ses jambes…

« Pour avoir violé ma mère, voici ta punition… »

D’un geste violent, je plante ma lame entre ses cuisses, tranchant net ce qui lui servait de cerveau. Je retire la lame, laissant le sang se répandre au sol. Je l’oblige à rester allongé, l’empêchant de se replier sur lui-même dans un réflexe de survie. Je lui caresse le visage, augmentant sa peur, il est presque mort. Je pourrais le laisser ainsi, se vider de son sang pendant que je fais subir à son acolyte la punition qu’il mérite. Mais j’en ai décidé autrement…

« Pour avoir tué ma mère, voici ta punition… »

Calmement, je pose le tranchant de la lame sur sa gorge, jouant avec sa peau, l’entaillant à plusieurs reprise. Quand j’ai décidé qu’il était temps d’en finir, je lui tranche la gorge, comme j’avais tranché celle de mon père. Il veut parler mais sa bouche se rempli de sang, il pousse son dernier souffle alors que je me relève, le visage dénué de toute expression.

Je me relève lentement, contemplant mon œuvre. Je viens de tenir la moitié de ma promesse, la deuxième partie m’attend à quelques mètres…

Une douleur sourde me parcourt soudain le corps, le goût du sang envahit ma bouche. J’essaie de passer ma main dans le dos et je sens le manche d’un poignard… Mes forces me quittent rapidement et je m’effondre au sol, l’esprit à jamais hanté de ne pas avoir pu terminer…

Depuis combien de temps pleut-il ? Je l’ignore… Je n’ai cessé de penser à lui. Les fantômes de son passé l’ont retrouvé. Et moi que ferai-je lorsque le moment sera venu ? Ma cape ruisselle abondamment et ma capuche suffit à peine à me protéger des bourrasques.

Peu importe, j’ai un mauvais pressentiment. Stupide elfe qui croyait que j’allais rester terrée dans notre repaire. Et Chill, ton aide cette fois-ci n’aurait pas été de refus. Vraiment toute cette histoire pue.

D’ailleurs une odeur nauséabonde vient me signaler les abords des bas-fonds et de ses entrelacs de sombres ruelles assassines. Avec toute cette pluie, les égouts commencent à refluer. La ville commence à vomir ses eaux usées et avec elles les effluves pestilentiels de toute sa misère. Ils flottent dans cet air raréfié et viennent s’engouffrer en moi. Prise au dépourvu je plonge mon nez dans mon col, mais il est trop tard. Sous l’effet de cet assaut, mes entrailles se révoltent. Je réprime un haut le cœur tout en portant la main à la bouche par réflexe.

Allez fillette, en route…

J’observe la moindre ruelle qui se déroule sur mon chemin vers l’auberge, je guette les moindres silhouettes qui se profilent. C’est finalement au bout de quelques pâtés de maison que j’aperçois à l’entrée d’une impasse son sac et son arc posés au sol. Je regarde plus avant et malgré mes faibles capacités de vision nocturne je distingue des formes en mouvement. Sans plus réfléchir je me rue vers ces ombres.

Tout se précipite brutalement. Une jeune humaine est là. Paralysée, elle a les yeux fixés sur la scène, vide de toute substance, débraillée, sa culotte se trouve à moitié enlevée, à ses pieds. Je vois Ezekiel se redresser… Du sang dégouline jusqu’à mes pieds. Lui-même en est recouvert, éclaboussé… qu’as-tu fait ? Et cette odeur de fer que je ressens jusque dans ma bouche…
Et cet autre qui ….
Noooooon !
Dans un élan désespéré je tente de l’empoigner mais je suis trop loin, ma main se referme sur du vent. Ezekiel se cambre puis s’effondre au sol.

A présent tout se fige. La jeune fille semble se briser et lui gît au sol. Son sang commence à se déverser en se diluant dans l’eau crasseuse.
Une rage irrépressible me gagne et je m’avance. Quelque chose semble s’être bloqué dans mon esprit avec le son mat du corps d’Ezekiel rentrant en contact avec la boue.
Mes mains s’embrasent et crépitent sous la pluie battante. Le bourreau n’a pas le temps de jouir de son acte. Son visage porcin et difforme se tourne vers moi, sa lèvre est éclatée et son regard fou. Sûrement pas plus fou que le mien… Son corps massif et opulent commence à me charger dans un râle lugubre. Je le devance en lui projetant des rafales de sphères enflammées. Son corps tout entier prend feu alimenté par mes soins. Une odeur de chair brûlée vient se mêler à l’odeur acide omniprésente. Ses vociférations rauques en arrivent presque à recouvrir le bruit du déluge. Sans perdre de temps je me jette de toutes mes forces à l’assaut de cet obstacle et parvient à le projeter contre un mur. Il s’y écroule en continuant de tressaillir sous l’action des flammes. Ma cape s’embrase elle aussi mais les flammèches sont vites vaincues par les trombes d’eau qui se déversent sur nous. Je réalise alors. Temps de merde, sorts de merde…Vite, il faut faire vite.

Je me retourne vers la fille. « Empêche son sang de couler avec tes haillons et appuie bien fort sinon je te brûle aussi ». J’espère que ces menaces auront l’effet d’une gifle et qu’elle réagira. Elle semble revenir à elle. Une fraction de seconde s’est à peine écoulée que je sens déjà sa sinistre présence, il s’est relevé. Une douleur fulgurante irradie de ma tempe gauche. Je sens un liquide chaud parcourir mon visage. Ma tête semble se fracasser alors qu’elle cogne le sol non loin du corps de mon compagnon, elle vole en mille éclats. Mes yeux se referment sur le visage apeuré de la fille qui vient de réaliser que son dernier espoir s’écroule, sa perte…

Pas encore…

Je rouvre péniblement les yeux, ma vision est brouillée par le sang. Je tâtonne autour de moi et tombe sur le carquois d’Ezekiel. Ma tête me tiraille, on me hisse par ma chevelure. J’ai à peine le temps de me saisir d’une de ses flèches empoisonnées que je me retrouve plaquée au mur. Il me maintient par les cheveux et son autre main vient étreindre ma gorge, je suffoque, me débats en vain.

« Sales elfes ! je vais te crever bâtarde ! » Il lâche mes cheveux et son poing s’aplatit à plusieurs reprise sur mon ventre, mes côtes craquellent, je grimace. Frénétique il jouit de ma douleur, elle le renforce. Il desserre son étreinte et m’attrape le visage. « Oui c’est ça essaye de hurler personne n’est là pour toi ! » Son visage se rapproche du mien, sa main veut fouiller mon corps accablé, il va, il va….

J’ai la bouche emplie de sang, son sang, je vais vomir, je dois vomir… Je me retrouve agenouillée les mains dans la boue à tenter de reprendre mon souffle, la flèche toujours serrée dans mon poing. A quelques mètres gît un morceau de chair que je viens de recracher.
Il vacille légèrement et émet des sons gutturaux la main sur la bouche. Le sursis n’est que de courte durée, le voilà sur moi, ses cris sont étouffés par le sang qui ne cesse de lui inonder la bouche. Je ne peux plus bouger envahie par ce lourdaud et ces douleurs lancinantes... D’une main il attrape un couteau décidé cette fois-ci à me tuer. C’est le moment… Je profite de ce bref instant pour lui ficher la flèche dans le flanc et la remue dans tous les sens pour bien la faire pénétrer et déverser sa substance fatale. Il écarquille les yeux et me laisse une échappatoire, d’un sursaut je parviens à me dégager et venir auprès d’Ezekiel. La gamine a malgré tout fait ce que je lui ai dit, elle presse de toutes ses forces sur la blessure mais cela ne suffit pas. Je puise dans mes dernières ressources et la vie s’échappe de mes mains pour s'infiltrer dans son corps. La plaie commence à peine à se résorber que ma vision se brouille, mon esprit s’embourbe, mon corps est lourd, j'ai froid, je m'avachis sur son corps laissant le danger au dessus de nos têtes.

Mon cœur reprend un rythme plus régulier, je sens ses battements jusque dans mes tempes. Pourtant, la douleur s’estompe, une énergie nouvelle prend possession de mon corps. Dans un élan de survie, je me redresse pour aspirer une grande bouffée d’air, mes poumons me font mal. Je me mets à tousser, recrachant le sang qui m’étouffait. Ma vision se fait plus claire. Je baisse les yeux et vois le visage de Blyss posé sur mes genoux, la tête ensanglantée… Elle me regarde, ses yeux semblent se confondre en excuses… Pourtant, sans elle je serai mort. D’un geste tendre, je lui écarte une mèche qui lui barre le front, oubliant l’espace d’une seconde le danger qui nous guette. La colère m’assaille. Je me dégage, déposant doucement son corps sur le sol.

Oubliant les coups reçus, je me lève, puisant dans mes ultimes ressources. Mains posées sur les genoux, il me fait fasse, bavant son sang, poussant des gloussements de douleur. Sans hésiter, je me jette sur lui et l’attrape par les épaules. Quelques coups de genoux bien placés le fond s’écraser au sol dans un bruit sourd. Je plonge sur lui, il ne doit pas se redresser, plus jamais… Je saisis le présent que Blyss lui a laissé dans le flanc. D’un geste frénétique, j’appuis sur la flèche aussi fort que je le peux, lui arrachant des râles étouffés par le sang. Mes flèches éparpillées au sol sont ma seule chance. Je tends le bras et en attrape une poignée. Je lève la main en hurlant…

« Pour ma mère, pour Blyss… »

J’abats ma main comme un bourreau abat sa hache sur le cou de sa victime. Les flèches pénètrent dans la chair, libérant le poison qui commence à digérer les tissus. Ma main se lève et replonge sur ma proie dans un balai morbide qui le conduira à la mort. Je laisse libre court à ma haine, mes idées se brouillent, je frappe encore et encore, ne prêtant plus aucune attention à son état. Lorsque je reviens à la réalité, je suis couvert de sang, le mien, celui de mes victimes, celui de Blyss… Lui est déjà mort…

« Blyssssss… »

Je me lève d’un bond et me jette au sol. Agenouillé à ses côtés, je n’ose pas la toucher, peur de la blesser plus qu’elle ne l’est déjà… Sa poitrine se soulève à un rythme régulier. Elle vit encore mais pour combien de temps…

« Veilles sur elle le temps que je revienne. » dis-je à la jeune fille encore tremblante…

Sans attendre la moindre réponse, je sorts de la ruelle… Quelques instants plus tard, je saute de la charrette que je viens de voler dans une grange. Je jette mon sac et mon arc dans la caisse et étend ma cape au sol à côté de Blyss. Doucement, je la soulève pour la couvrir, espérant que ma cape ne servira pas de linceul… Je me relève, son corps meurtri dans les bras et la dépose dans la charrette.
Elle respire encore, elle doit vivre, il le faut...

Je sers ses mains, comme j’avais serré les mains de ma mère…

« Accroches toi Blyss, ne me lâche pas, pas maintenant. »

Le temps presse, je dois faire très vite. Fouettant les montures, je lance la charrette à toute allure. Nous sortons de la ville et lance notre attelage vers la forêt de Barla. Tout au long du voyage, je garde un œil sur elle, attentif au moindre changement. De temps à autres, elle se met à tousser, à cracher du sang… Mon esprit n’est pas à notre voyage. Je ne pense qu’à elle, à notre rencontre, à ses rires, à ses colères, à nos discussions, à ce que je ne lui ai jamais dit…

Quelques heures plus tard, nous arrivons enfin à notre repère. Je saute de la charrette et la prends dans mes bras, ses yeux sont clos, son souffle court. J’ouvre la porte d’un coup de pied et la dépose sur le lit. Je cours à la bibliothèque et reviens avec un de ses livres, espérant y trouver quelques conseils. Je ne peux que compter sur moi… Je la déshabille, exposant à la lumière du jour des plaies malignes. Pendant de longues minutes, je recouds des plaies, pose des bandages, applique des onguents… Désormais, il ne me reste plus qu’à attendre, à la veiller… A genoux à côté du lit, je m’effondre, épuisé, sa main dans le creux de la mienne…